Yves Raguin
Chemins de la contemplation – XIX
Quand le monde divin grandit, l’homme ne peut que le contempler sans rien dire. Il ne le contemple pas, car il est encore caché à son regard, mais il le sent l’enserrer de toutes parts. Ce monde divin est une présence qui surgit de partout, une puissance qui agit en tout, une sève qui monte dans les artères de l’âme. Et pourtant rien n’est brisé de l’apparence des choses. Tout continue, dans l’univers humain, à exister normalement. Rien n’est changé, mais tout prend une nouvelle dimension, dans sa relation à Dieu.
Celui qui fait cette expérience est pris d’un étrange sentiment de respect pour la nature entière et pour lui-même. Il lui semble toucher l’invisible, palper l’éternel. Il avance au milieu de ce monde comme un aveugle qui voit clair, mais dans un autre monde que celui dans lequel il se promène… Il n’est pas arrivé là du premier coup… Peu à peu, il a senti que les longues réflexions n’avaient plus grand sens. Une pensée lui suffisait, une de ces longues pensées qui s’étendent sur les mystères de toute l’immensité de la foi. Une seule pensée lui donnait plus de paix, plus de joie que toutes ses anciennes considérations. Jamais cette pensée ne devenait pesante, car elle ne s’appuyait pas tant sur elle-même que sur le mystère.
Cette simplicité se retrouve bientôt dans toutes les formes de sa prière. Le contemplatif peut rester une heure, le regard de l’esprit posé sur une scène d’évangile. Il voit le Christ, il Le voit d’une vue qui n’est point d’imagination. Il Le voit dans une perception qui n’est point un simple regard. Il saisit le Christ de toute son âme. Cette vue toute particulière est l’aboutissement d’une longue habitude de contemplation. L’habitude a affiné la faculté de percevoir avec toute son âme, et Dieu s’est montré…
Yves Raguin, Chemins de la contemplation (Desclée de Brouwer, 1969)
image: Carmel du Pâquier, Suisse (2017)
