Chemins de traverse – 62 / Virginia Woolf

Virginia Woolf

L’aube, même froide et mélancolique, ne manque jamais de lancer dans mes membres ses flèches qu’on dirait de givre étincelant et acéré. Je tire les lourds rideaux et cherche la première lueur qui montre la percée de la vie. La joue au carreau, j’aime à m’imaginer que je serre d’aussi près que possible le grand mur du temps qui toujours lève, retire et dégage des pans de vie neufs au-dessus de nous. Puisse-t-il m’appartenir de goûter cet instant avant qu’il ne s’étende sur le reste du monde, d’en goûter la fraîcheur et la nouveauté! De ma fenêtre, je vois le cimetière où sont enterrés tant de mes aïeux, et dans ma prière, j’ai pitié de ces pauvres morts, jouets de l’onde et de son éternel va-et-vient, car je les vois décrire des cercles, roulés à jamais par le flot pâle. Puissions-nous, nous qui avons le don du présent, en user et jouir: voilà, je le confesse, un peu de ma prière du matin.

Virginia Woolf, La fascination de l’étang (coll. Points/Seuil, 2013)

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