Chemins de traverse – 590 / Jean Giraudoux

Jean Giraudoux

Ne croyez pas que les feuilles mortes tombent d’un coup, comme les fruits mûrs, ou sans bruit, comme les fleurs fanées. Celles des aulnes, au bord des ruisseaux, se détachent vers midi, et, attardées par des feuilles encore vivantes, par des nids abandonnés qui ne les réchauffèrent pas, arrivent à la terre tout juste avant le soleil.

C’est l’heure où le meunier ouvre ses vannes; le ruisseau monte et les emporte avec l’eau restée dans les trous, l’eau qui a déjà oublié si elle vient du moulin ou de la pluie; et elles roulent, tout au fond, car les feuilles vertes seules surnagent. Il y a aussi celles de lierre, couleur d’écorce, qui se collent au tronc et le pénètrent peu à peu; il y a les feuilles qui tombent la nuit, froissant une branche, et s’arrêtant inquiètes, repartant, et dans leur crainte d’éveiller l’arbre faisant plus de bruit encore.

Seules les feuilles de tremble s’abattent d’une masse, désargentées. Mais elles-mêmes, ce jour-là, se détachaient plus lentement. De mon lit, je les écoutais et les voyais. L’automne s’étendait au-dessous des tilleuls comme un filet de soie qui ouate les chutes. Je m’étonnais que les oiseaux pussent arriver jusqu’à la terre.

Jean Giraudoux, Provinciales (Editions Marvole, 2016)

image: https://www.pinterest.fr

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