Morceaux choisis – 205 / Marie Cénec

Marie Cénec

Quelles sont les personnes de votre entourage à qui vous n’avez jamais menti? Ces personnes avec qui vous n’avez pas besoin d’enjoliver la réalité, de faire semblant ou d’omettre systématiquement de dire certaines choses? A qui faites-vous assez confiance pour avoir une parole libre? Ne pas tout dire, tordre la réalité des faits, mentir est parfois un réflexe: pour s’en sortir, pour ne pas perdre la face en devant, accepter son erreur. Mentir, c’est prendre la fuite dans le langage quand on se rend compte que la situation va devenir intenable. Cela va du petit mensonge qui permet d’éviter l’inconfort de la franchise, au grand mensonge qui permet de couvrir l’adultère, la fraude fiscale, l’erreur professionnelle, médicale ou politique.

Quand une vérité est trop dangereuse ou trop difficile à assumer, sommes-nous donc condamnés à mentir? On dirait bien que oui. Tant que nous vivons dans un climat de peur, nous sommes condamnés à devenir des menteurs! Mais s’il faut parfois se résoudre à mentir pour éviter le pire, je crois qu’il vaut mieux éviter le plus possible de frayer avec le mensonge. Car, le plus souvent, le mensonge ne fait qu’ajouter de la souffrance à la souffrance, il est mortifère et destructeur. Le mensonge est toxique et peut, par sa récurrence ou sa permanence, entamer, malmener, détruire une relation. Même un petit mensonge n’est jamais anodin. Ne pas oser dire à l’autre ce que l’on pense, c’est croire que le lien que l’on entretient avec lui n’est pas assez fort pour supporter de dire sa vérité. Là où il y a mensonge, il y a manque de confiance en l’autre ou dans la relation, de sorte qu’on n’ose pas prendre le risque d’exprimer ce que l’on pense vraiment. Alors que dans une relation saine, il y a de la place pour dire ce qui dérange. Il y de la place pour donner son avis, émettre une critique, il y a de la place pour être soi et laisser l’autre être qui il est sans peur.

Ce n’est qu’en regardant en face le mensonge, cette discordance, ce défaut d’intégrité morale, cette facilité passagère, ce hiatus qui peut toucher notre relation à nous-mêmes, aux autres, et à Dieu, que nous pourrons nous en libérer. Ce n’est qu’en refusant d’être sous le pouvoir du mensonge que nous pouvons aimer d’un amour véritable, d’un amour passé au feu de la lucidité. D’un amour qui aura brûlé toutes nos peurs.

Marie Cénec, Mentir en toute bonne foi / extrait – Prédication à la Cathédrale Saint Pierre, Genève – 13 mai 2018 (celebrer.ch)

Michel-Ange, Le prophète Ezéchiel (pinterest.fr)

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