Morceaux choisis – 435 / Yves Raguin

Yves Raguin 

Les sources ont toujours fasciné les hommes et hanté leur esprit. La source, c’est le jaillissement du mystère, le surgissement soudain de l’inconnu dans notre monde humain. Je regarde l’eau sortir de la fissure du rocher. Qu’elle jaillisse avec violence ou coule avec la douceur d’un murmure, elle est toujours pour moi l’expression du Mystère. Elle me parle de ce que je ne puis saisir, elle me chante ce que je ne puis entendre, elle me révèle la vie cachée au coeur du rocher. Quand je regarde la source et l’écoute, j’ai envie de m’enfoncer dans la fente de la pierre et de remonter aussi loin que je puis pour saisir le filet d’eau à sa naissance dans le ventre de la montagne. Mais plus je m’enfonce dans la nuit de la terre, moins je saisis la source et plus son origine devient mystère. L’eau imprègne toute la masse de la montagne, suinte de partout et se rassemble en filets minuscules pour former ce courant qui jaillit au creux de la vallée.

Revenu devant la source, je l’écoute et la regarde, mais ce que je regarde, ce que j’écoute, c’est le mystère dont elle est le verbe jaillissant. Assis près d’elle, je laisse l’eau couler sur mes pieds ou glisser dans la main que je lui tends. Elle vient de loin, libre de toute attache, glisse entre mes doigts et s’échappe. Jamais plus je ne la reverrai, cette eau qui coule; elle passe, elle passe. Mais au creux de la montagne le mystère demeure, mystère de la terre et des rochers que cette eau imprègne avant de jaillir en source claire.

Yves Raguin, La Source (Desclée de Brouwer, 1988)

image: Abbaye de La Trappe, France (latrappe.fr)

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