Chemins de traverse – 765 / Albert Camus

Albert Camus

Le froid reste au fond de l’air. Partout une pellicule de soleil qui craquerait sous l’ongle, mais qui revêt toutes choses d’un éternel sourire. Qui suis-je et que puis-je faire, sinon entrer dans le jeu des feuillages et de la lumière? Être ce rayon où ma cigarette se consume, cette douceur et cette passion discrète qui respire dans l’air. Laissez-moi découper cette minute dans l’étoffe du temps. La vie est courte et c’est péché de perdre son temps. Je suis actif, dit on. Mais être actif, c’est encore perdre son temps, dans la mesure où l’on se perd. Aujourd’hui est une halte et mon cœur s’en va à la rencontre de lui-même. Si une angoisse encore m’étreint, c’est de sentir cet impalpable instant glisser entre mes doigts comme les perles de mercure. Laissez donc ceux qui veulent tourner le dos au monde. Je ne me plains pas puisque je me regarde naître. A cette heure, tout mon royaume est de ce monde.

Albert Camus, L’envers et l’endroit (coll. Folio Essais/Gallimard, 1986)

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