L’écharde dans la chair – 1

Jean-François Noel

Eloge de la sainteté ordinaire – I

Levons d’emblée quelques ambiguïtés. Le mot saint évoque d’emblée ceux de parfait, de pur, bref, une figure héroïque… C’est du moins ce qui nous vient à l’esprit, mais cette association de mots ne nous empêche-t-elle pas de bien comprendre ce qu’est le secret ultime de la sainteté? Son ressort, sa lucidité, sa pertinence, bref son actualité… Le saint, plutôt que de se hisser par sa seule force et de vivre au-dessus de ses moyens, n’est-il pas celui qui tient exactement à l’endroit de sa division intérieure? A l’endroit même où il pourrait faire siens les mots de saint Paul: ce que je voudrais, cela, je ne le réalise pas; mais ce que je déteste, c’est cela que je fais (Rm 7,15).L’écharde est plantée précisément à ce point de clivage, marquant sa vie d’un échec permanent et humiliant, ce qui l’oblige à se détourner, à se retourner…

Nous avons tous croisé, un jour ou l’autre, ces montagnes de vertu que nous avons peut-êtte enviées, et dont l’aisance, au moins apparente, nous écrasait. La vertu, prise pour elle seule, finit par être arrogance et condamnation pour celui qui peine, le bancal, l’inachevé que je suis et que vous êtes aussi, peut-être.

J’ai l’impression que le saint n’est pas exactement de ce côté-là. Cela doit commencer par un premier aveu, aveu qui vient déchirer des certitudes et se disposer à l’imprévisibilité de Dieu. Ce qui ne veut pas dire extraordinaire. Tout au contraire, Dieu se glisse dans le familier, le quotidien et l’ordinaire, là même où on ne L’attendait pas, là même où l’homme trébuche.

Le chrétien, s’il est tant soit peu sincère avec lui-même, n’est pas parfait. Et il se doit de le reconnaître, et j’allais dire: et y demeurer, ce qui peut sembler le plus paradoxal. Même le vertueux précédemment nommé veut ignorer l’orgueil tranquille que lui procure sa réussite. S’il est relativement facile pour chacun d’entre nous de reconnaître ce qui n’est pas conforme dans notre vie, la plus difficile est de s’avouer le mal que nous faisons à l’autre. Je veux désigner ce mal involontaire, du moins l’est-il à nos propres yeux, ce qui semble prouver que la vertu humaine à elle seule ne suffit pas. Se tenir au bord de sa propre brèche fait de nous des vrais mendiants. 

Jean-François Noel, L’écharde dans la chair – Eloge de la sainteté ordinaire (Desclée de Brouwer, 2011)

image: Duccio di Buoninsegna, La transfiguration (nationalgallery.org.uk)

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