L’écharde dans la chair – 21

Jean-François Noel

Eloge de la sainteté ordinaire – XXI

De deux choses l’une, ou je me replie sur cette écharde dont j’ai envie de me plaindre jusqu’à la dernière heure, ou je l’interroge et me refuse à en faire payer les conséquences aux autres. Autrement dit, elle me sert à reconnaître qu’elle tenait lieu de justification à mes immobilités et à mes égoïsmes, alors qz’elle peut devenir aiguillon… C’est toute la différence entre celui qui se contente de se confesser d’actes impurs et celui qui reconnaît la dureté de son coeur. Le premier reste branché sur son image narcissique, le second pressent que l’écharde, comme l’arbre pour la forêt, cachait une chose aux conséquences bien plus fâcheuses, car elles concernent les autres, Dieu compris. L’écharde maintient la juste pression, celle qui nous convient. Ni plus, ni moins.

Où est-elle plantée? Dans la main, le pied ou l’oeil? Ma main pèche, mon pied me fait pécher ou mon oeil. Jette-le, coupe-le, conseille le Maître. Autrement dit, cesse de t’en lamenter et évite de t’en servir. Ne le laisse pas devenir ton despote intérieur. Si c’est ton pied, marche avec l’autre; si c’est ton  oeil, regarde avec l’autre. En ne considérant que cet organe malade, j’oublie le chemin à parcourir.

Le saint n’a pas attendu d’être totalement intact, ni en pleine possession de ses moyens pour s’élancer. Il s’est hissé sur ses moignons, il a tendu l’oreille, il a scruté la nuit avec son oeil valide, et, misant sur la beauté cachée que Dieu seul pouvait deviner, il en fait son offrande et sa prière. Et il entend cette injonction: Je t’ai donné la Vie, qu’as-tu à lui donner?

Un point c’est tout. C’est ainsi qu’il a pu se préparer à faire l’expérience de Dieu. Ici et maintenant.

Jean-François Noel, L’écharde dans la chair – Eloge de la sainteté ordinaire (Desclée de Brouwer, 2011)

image: Duccio di Buoninsegna, La transfiguration (nationalgallery.org.uk)

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