L’écharde dans la chair – 24

Jean-François Noel

Eloge de la sainteté ordinaire – XXIV

J’espère qu’un jour on me donnera l’occasion de relire attentivement l’histoire de ma vie. Prétentieux peut-être, mais tant pis, car je n’ai qu’elle. J’ai longtemps attendu qu’elle me donne quelque chose, et elle m’a donné ce qu’elle avait à me donner. Et puis j’ai attendu, en vain, et rien ne se passait. Il m’a fallu du temps pour comprendre que c’était à mon tour de lui apporter quelque chose de moi, un élément précieux, qu’il me faudrait exhumer d’une torpeur confortable. Et de renverser la question. Qu’avais-je à dissimuler dans cette façon de faire? De la lâcheté ou de l’orgueil? C’est à moi d’apporter quelque chose à la vie et non l’inverse.

Est-ce ainsi que les saints raisonnent? Leur faut-il être animés de cette prétention qui fait croire au saint que s’il n’apporte pas ce qu’il doit apporter, cela manquera? Encore faut-il s’entendre sur ce qui pourrait être pris pour une fichue prétention si cet apport ne s’était d’abord confronté au mal. Et pas seulement celui que j’ai commis, cela va de soi, mais aussi celui que j’ai pu subir. Et tout cela, volontairement ou pas. Bref, le mal qui est passé par moi et que j’ai laissé passer. C’est là que le saint fait barrage.

En ce qui concerne le mal subi, il est difficile d’extirper de notre réflexion le besoin de vengeance qui ne révèle à terme que mes complicités molles et minables et l’exigence de mon narcissisme. Ne le confondons pas avec le juste reproche qui, lui, demande du courage. C’est pourquoi il est préférable d’envisager les deux ensemble. De toute manière, même si je ne suis pas le premier – à commettre le mal – je serai le second si je renvoie à un autre ce que j’ai d’abord subi. Angoisse oblige…

Contrairement aux apparences, celui qui est le mieux placé pour désamorcer la violence montante est l’offensé, parce qu’il est – et c’est bien paradoxal – le moins aveuglé des deux. Encore une fois, c’est le faible, le blessé, l’échardé qui a les cartes en main, les cartes de la paix: Si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi (Mt 5,24)… Et pour cela, il faut avoir été averti. Et averti des fautes que nous commettons malgré nous à cause de l’angoisse.

Jean-François Noel, L’écharde dans la chair – Eloge de la sainteté ordinaire (Desclée de Brouwer, 2011)

image: Duccio di Buoninsegna, La transfiguration (nationalgallery.org.uk)

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