Jean-François Noel
Eloge de la sainteté ordinaire – XXVI
L’articulation de notre sainteté et de notre créativité fait tomber le dernier prétexte. Cela ne me concerne pas ne porte pas seulement atteinte à Dieu, ce qui peut déjà sembler grave en soi, mais à soi-même, ce qui convaincra plus d’un réticent. Le risque majeur serait alors de passer à côté de soi, et de risquer d’entrer dans une lente trahison, que nous ne pourrions nous pardonner.
Deux autres questions nous attendent au seuil du paradis après celle du m’aimes-tu? La première est incontournable, elle touche à la charité. C’est pourquoi elle sera la plus douloureuse. Dieu ne cesse de la poser à tous les Caïns qui se cachent en nous: Où es ton frère? Il en est une seconde, tout aussi redoutable et qui découle d’ailleurs de la première: Où es-tu? Autrement dit: Qu’as-tu fait de toi? Qu’as-tu fait de cette part d’humanité que Je t’ai confiée, que Je t’ai donnée pour la faire fructifier? Et si jamais je tombe un mauvais jour, je pourrais entendre: Quel argument vas-tu avancer pour justifier que tu n’as rien fait, et que tu l’as laissée pourrir dans la terre. Si tu savais quel espoir j’ai mis en toi, en te plaçant au milieu de tes frères, quelle richesse j’y cachai. Pourquoi cette tiédeur, cette paralysie de ton coeur?
En se mobilisant tout entier, en élargissant ses frontières intérieures, l’homme trouve une dynamique, s’accorde au flux quile fait vivre, et se dresse pour offrir le meilleur de lui-même. Et surtout, surtout, il offre à Dieu et au don qu’Il lui a préparé une plus grande surface. Comme les feuilles se déploient autant qu’elles peuvent, tant pour accueillir l’eau du ciel que pour bénéficier de la lumière du soleil, le saint est celui qui déploie son humanité jusqu’à en faire gémir les articulations. Plus la surface offerte est large, plus profondément pénétrera la grâce. Comme en un cercle heureux, plus l’homme se prêtera à être visité, plus il sera irrigué.
La voilà la part humaine, ce petit mouvement initial qui autorise l’intervention divine.
Jean-François Noel, L’écharde dans la chair – Eloge de la sainteté ordinaire (Desclée de Brouwer, 2011)
image: Duccio di Buoninsegna, La transfiguration (nationalgallery.org.uk)
