Entrer dans… Le château intérieur – 15

Thérèse de Jésus (Thérèse d’Avila) 

Le château intérieur – XV. Quatrièmes Demeures – V

Il me semble bien que la volonté doit de quelque façon se trouver unie à celle de Dieu. Mais c’est aux effets que l’on reconnaît les véritables grâces d’oraison: il n’y a pas de meilleur creuset pour s’éprouver soi-même. Pour celui qui reçoit cette faveur, c’est une grande grâce d’en recevoir l’intelligence, et une plus grande encore de ne pas retourner en arrière.

Vous voudriez sur-le-champ vous procurer cette oraison. et à juste titre, car, encore une fois, l’âme ne peut comprendre les grâces qu’elle reçoit alors de Dieu et l’amour avec lequel Il l’approche de Lui. Rien de plus légitime que de désirer savoir comment l’on peut l’obtenir pareille faveur. Je vous dirai donc ce que j’en ai appris. Laissons de côté le cas où il plaît au Seigneur de l’accorder, simplement parce qu’Il le juge bon. Il en sait la raison et nous n’avons rien à y voir. Faites d’abord ce qui a été recommandé aux habitants des Demeures précédentes, et ensuite: de l’humilité! de l’humilité! C’est par elle que le Seigneur cède à tous nos désirs. Et voulez-vous savoir si vous avez cette vertu? Voyez d’abord si vous vous croyez indignes de ces grâces et de ces goûts divins, et si vous êtes persuadées qu’ils ne vous seront jamais accordés en cette vie.

Vous me direz: Mais comment les obtenir, si on ne fait rien pour cela? Je réponds que le meilleur moyen est celui que je viens d’indiquer, c’est-à-dire de ne rien faire pour y parvenir. En voici les raisons. La première, c’est que pour recevoir ces grâces, rien n’est plus nécessaire que d’aimer Dieu sans intérêt. La deuxième, qu’il y a un petit manque d’humilité à penser pouvoir obtenir un si grand bien par des services aussi misérables que les nôtres. La troisième, que la véritable disposition pour nous, qui, après tout, avons offensé Notre-Seigneur, n’est pas d’aspirer aux consolations, mais de désirer souffrir et nous rendre semblables à Lui. La quatrième, que sa Majesté ne s’est pas obligée à nous donner ces goûts spirituels, comme elle s’est obligée à nous donner la béatitude et si nous observons Ses commandements. Nous pouvons nous sauver sans cela, et Elle sait mieux que nous ce qui nous convient et quels sont ceux qui L’aiment véritablement.

Il y a une chose certaine et sur laquelle je n’ai aucun doute: c’est qu’il se trouve des personnes – et j’en connais – qui marchent sur le chemin de l’amour comme on doit y marcher, c’est-à-dire avec le seul désir de servir leur Christ crucifié, et qui non seulement ne Lui demandent pas des goûts spirituels, et ne désirent pas en avoir, mais Le supplient même de ne pas leur en donner en cette vie. C’est la pure vérité.

La cinquième raison, c’est que ce serait nous tourmenter en pure perte. Cette eau n’étant pas amenée par des canaux comme la précédente, si la source se refuse à la donner, nous nous fatiguerons en vain. Je veux dire que nous aurons beau multiplier nos méditations, nous pressurer le coeur et verser des larmes, tout sera inutile. Ce n’est pas la voie par laquelle arrive cette eau. Dieu la donne à qui Il veut, et Il le fait souvent au moment où l’âme y pense le moins.

Nous sommes à Lui: qu’Il fasse de nous ce qu’Il voudra, qu’Il nous conduise par où il Lui plaira. Si nous nous humilions, si nous nous détachons véritablement – et non pas seulement par l’imagination qui, si souvent, nous trompe, car il faut que le détachement soit absolu -, le Seigneur, j’en suis persuadée, ne nous refusera pas cette grâce, car Il nous en accordera même beaucoup d’autres qui surpasseront nos désirs. 

Thérèse d’Avila, Le château intérieur, dans: Oeuvres complètes (Cerf, 1995)

image: Gian Lorenzo Bernini, Estasi di Santa Teresa / Chiesa di Santa Maria della Vittoria, Roma – Italia (artspecialday.com)

Print Friendly, PDF & Email

Auteur/autrice

Partager sur:

Dernières publications