Pouvoir du mal, visage de Dieu – 5

Pouvoir du mal, visage de Dieu – V

L’absolue certitude où nous sommes que Dieu prévient chaque adulte de la surabondance de Ses grâces, qu’Il ne va pas moissonner où Il n’a pas semé, nous la savons vérifiée en d’innombrables cas par notre expérience de pécheurs. Mais n’est-elle pas, en d’autres circonstances, démentie par les faits, n’est-ce pas une gageure de la maintenir en face de l’effrayante détresse de la vie et de la mort de tant d’êtres humains?

Le chrétien pense à ces abandonnés dont le sort éveille dans l’âme une angoisse intolérable, à cause de la nuit tout à fait noire dans laquelle la mort les a frappés… Je parle de tant de pauvres êtres qui n’avaient rien fait que leur humble besogne ordinaire et sur lesquels, en un instant, la mort s’est jetée comme une bête. Immolés par les caprices de la guerre et de la férocité, persécutés non pour la justice, à laquelle ils ne songeaient même pas, mais pour l’acte innocent de leur simple existence en un point malchanceux de l’espace et du temps. Et que sont leur supplice et leur mort, sinon l’image et le brusque abrégé où nous pouvons lire les souffrances de millions de pauvres au cours des siècles, broyés par la grande machine d’orgueil et de rapine aussi vieille que l’humanité? Combien d’autres sont morts tout à fait abandonnés. Ils n’ont pas donné leur vie, on leur a pris leur vie, dans les ténèbres de l’horreur. Ils ont souffert sans l’avoir voulu. Ils n’ont pas su pourquoi ils mouraient. Ceux qui savent pourquoi ils meurent sont de grands privilégiés. (Jacques Maritain)

Et voici maintenant la réponse, l’ultime réponse possible: Tout semble se passer comme si l’agonie de Jésus était quelque chose de si divinement immense qu’il faille, pour qu’une image en passe parmi Ses membres, et pour que les hommes participent complètement à ce grand trésor d’amour et de sang, qu’elle se partage en eux selon ses aspects contrastants. Les saints y entrent volontairement, en s’offrant avec Lui… La béatitude des persécutés illumine leur existence terrestre. Mais les tout à fait abandonnés, les victimes de la nuit, ceux qui meurent comme des réprouvés de l’existence terrestre, ceux qui sont jetés dans l’agonie du Christ sans le savoir et involontairement, c’est une autre face de cette agonie qu’ils manifestent, et il faut sans doute que tout soit manifesté… Le grand troupeau des vrais misérables, des morts sans consolation, comment n’aurait-Il pas soin de ceux qui portent cette marque-là de Son agonie? Comment, s’ils ne sont pas trouvés en rébellion contre l’Auteur de leur vie, leur délaissement même ne serait-il pas la signature de leur appartenance au Sauveur crucifié et un titre suprême à Sa miséricorde? Au détour de la mort, dans l’instant qu’ils passent de l’autre côté du voile, et que l’âme va quitter une chair dont le monde n’a pas voulu, n’a-t-Il pas le temps de leur dire encore: Tu seras avec moi en paradis (Jacques Maritain), même quand pour eux, jusqu’à l’extrême limite, rien, même du côté de Dieu, n’aura lui aux yeux des hommes?  

Charles Journet, Le mal – Essai théologique (Saint-Augustin, 2013)

image: Jérôme Bosch, Le jardin des délices / Détail (euclides59.wordpress.com)

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