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Thérèse de Jésus (Thérèse d’Avila) 

Le château intérieur – XIII. Quatrièmes Demeures – III

Pour bien comprendre ce que j’appelle les goûts de Dieu – et que j’ai nommé ailleurs oraison de quiétude – figurons-nous avoir sous les yeux deux fontaines, dont les bassins se remplissent d’eau. Ignorante et dépourvue d’esprit comme je le suis, je ne trouve rien de plus concevable que l’eau pour donner l’idée de certaines choses spirituelles. J’ai, du reste, un attrait particulier pour cet élément: aussi l’ai-je observé avec une attention spéciale. Toutes les créatures d’un Dieu si grand et si sage renferment, sans doute, bien des secrets dont on peut retirer beaucoup d’utilité, et, de ce fait, il en est ainsi pour ceux qui en ont l’intelligence. A dire vrai, je suis persuadée que la moindre des créatures de Dieu, une petite fourmi, par exemple, renferme plus de merveilles que nos esprits ne peuvent comprendre.

Les deux bassins dont je parle se remplissent d’une manière différente: l’un reçoit une eau qui vient de loin, par de longs conduits et par le travail de l’art; l’autre est construit à l’endroit même de la source, de sorte qu’il se remplit sans aucun bruit. Et si la source est abondante, comme c’est ici le cas, le bassin, une fois rempli, laisse échapper un gros ruisseau, sans qu’il soit besoin d’employer aucun artifice, ni qu’on ait à craindre de voir le conduit se détériorer: d’elle-même, l’eau s’échappe sans cesse du bassin.

Pour faire voir la différence que je prétends expliquer, je dirai que l’eau amenée par un conduit représente les consolations acquises par la méditation. Nous les amenons en effet par nos réflexions, au moyen de considérations sur les choses créées, et par un pénible travail de l’entendement. Et comme, après tout, elles sont le fruit de nos efforts, c’est avec bruit qu’elles remplissent le bassin de notre âme de quelque profit spirituel.

Dans l’autre fontaine, l’eau procède de la source même, qui est Dieu. Aussi, quand il plaît à sa Majesté de nous accorder une faveur surnaturelle, cette eau coule de notre fond le plus intime, avec une paix, une tranquillité, une douceur extrêmes. Mais d’où jaillit-elle et de quelle manière, c’est ce que j’ignore. Ce bonheur, ce plaisir, ne se sent pas au premier abord dans le coeur, comme ceux d’ici-bas; mais ensuite, il remplit tout. Cette eau se répand dans chacune des Demeures, inondant les puissances et se faisant même sentir au corps. C’est ce qui m’a fait dire qu’il commence en Dieu et se termine en nous. Et réellement, l’homme extérieur tout entier savoure ce goût et cette douceur. Ceux qui l’ont éprouvé me comprendront fort bien. 

Thérèse d’Avila, Le château intérieur, dans: Oeuvres complètes (Cerf, 1995)

image: Gian Lorenzo Bernini, Estasi di Santa Teresa / Chiesa di Santa Maria della Vittoria, Roma – Italia (artspecialday.com)

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