Une étreinte de feu – 211 / Jean d’Ormesson

Jean d’Ormesson

Seigneur, pardonnez-moi. Je Vous ai beaucoup trahi. J’ai été indigne de la grandeur et de la confiance que Vous m’avez accordées puisque, dans Votre bonté, Vous m’avez donné le jour et laissé libre de mes choix. Ma médiocrité, je la vomis avec force, mais hélas! un peu tard. Je n’ai été ni un héros, ni un martyr, ni un saint. Je me suis occupé de moi, beaucoup plus que de ceux que Vous m’aviez confiés comme frères. J’ai été indigne des promesses dont Vous m’avez comblé. J’ai reçu beaucoup plus que je n’ai jamais donné. La presse, la vanité, l’indifférence aux autres, le goût de gagner, le délire de vouloir être toujours au premier rang des premiers, je leur ai trop sacrifié. J’ai vécu dans le tumulte et dans l’agitation. J’ai recherché le bonheur, et trop souvent le plaisir.

Vous le savez, mon Dieu. J’ai aimé les baies, Votre mer toujours recommencée, Votre soleil qui était devenu le mien, plusieurs de vos créatures, les mots, les livres, les ânes, le miel, les applaudissements dont j’avais honte, mais que je cultivais. J’ai aimé tout ce qui passe. Mais ce que j’ai aimé surtout, c’est Vous qui ne passez pas. J’ai toujours su que j’étais moins que rien sous le regard de Votre éternité et que le jour viendrait où je paraîtrais devant Vous pour être enfin jugé. Et j’ai toujours espéré que Votre éternité de mystère et d’angoisse était aussi et surtout une éternité de pardon et d’amour.

Je n’ai presque rien fait de ce temps que Vous m’avez prêté avant de me le reprendre. Mais, avec maladresse et ignorance, je n’ai jamais cessé, du fond de mon abîme, de chercher le chemin, la vérité et la vie. 

Jean d’Ormesson, Je dirai malgré tout que cette vie fut belle (Gallimard, 2016)

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