Les trois messes basses – 5

Alphonse Daudet

Les trois messes basses – V

– L’abbé va trop vite… On ne peut pas suivre, murmure la vieille douairière en agitant sa coiffe avec égarement. Maitre Arnoton, ses grandes lunettes d’acier sur le nez, cherche dans son paroissien où diantre on peut bien en être. Mais au fond, tous ces braves gens, qui eux aussi pensent à réveillonner ne sont pas fâches que la messe aille ce train de poste; et quand dom Balaguère, la figure rayonnante, se tourne vers l’assistance en criant de toutes ses forces: Ite, missa est, il n’y a qu’une voix dans la chapelle pour lui répondre un Deo gratias si joyeux, si entrainant, qu’on se croirait déjà à table au premier toast du réveillon.

Cinq minutes après, la foule des seigneurs s’asseyait dans la grande salle, le chapelain au milieu d’eux. Le château, illuminé de haut en bas, retentissait de chants, de cris, de rires, de rumeurs; et le vénérable dom Balaguère plantait sa fourchette dans une aile de gelinotte, noyant le remords de son péché sous des flots de vin du Pape et de bons jus de viandes. Tant il but et mangea, le pauvre saint homme, qu’il mourut dans la nuit d’une terrible attaque, sans avoir eu seulement le temps de se repentir; puis, au matin, il arriva dans le ciel encore tout en rumeur des fêtes de la nuit, et je vous laisse à penser comme il y fut reçu.

– Retire-toi de mes yeux, mauvais chrétien! lui dit le souverain Juge, notre maitre à tous. Ta faute est assez grande pour effacer toute une vie de vertu… Ah! tu m’as volé une messe de nuit… Eh bien, tu m’en payeras trois cents en place, et tu n’entreras en paradis que quand tu auras célébré dans ta propre chapelle ces trois cents messes de Noël en présence de tous ceux qui ont péché par ta faute et avec toi…

Alphonse Daudet, Les trois messes basses – lues par Fernandel (Frémeaux et Associés, 2006)

image : Moulin Alphonse Daudet, Alpilles

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