Morceaux choisis – 883 / Marie Cénec

Marie Cénec

Nous vivons dans un climat sociétal qui n’encourage pas à accepter la mort, à apprivoiser nos limites. Dans cette optique, ce serait comme une manière de se résigner, de refuser tous les possibles, de la jouer perdant alors que nous aurions tant à gagner. Pourtant, il peut être bon de perdre. Perdre nos illusions et nos réflexes infantiles… L’apprivoisement de la mort est une voie à suivre pour accéder à la sagesse. Car la mort s’offre comme la compagne éclairée de chacun de nos jours quand nous ne la voyons pas comme une menace, une présence hideuse, mais plutôt comme celle qui nous permet de vivre avec courage et lucidité. Apprivoiser la conscience de la mort nous permet d’accepter nos limites et également de faire une traversée intérieure. Accepter de mourir, c’est finalement accepter de vivre totalement, c’est s’abandonner à ce que nous ne pouvons pas contrôler. Dans la tradition chrétienne, la mort est liée à la métamorphose, elle a une dimension initiatique, elle est passage. Comme la larve qui devient papillon, l’humain est agi, il ne contrôle rien.

Il semblerait que l’observation de la nature, le langage symbolique et métaphorique permettent d’adoucir l’horreur de la mort, de l’assumer pour la transcender – et parfois, la mort devient même une amie. Le pasteur Charles Wagner montre comment l’observation de la nature lui permet de consentir à la mort. C’est un texte émouvant de simplicité:

Nous sommes les petites sœurs des étoiles. Nous chuchotons sur la terre obscure ce qu’elles proclament dans l’immensité lumineuse. Nous sommes les faibles voix de la grande espérance. Notre vie n’est qu’un matin, mais nous sommes les porteuses éphémères d’un message éternel. Ne nous plaignons pas sur notre rameau coupé. Au bord de la tombe où nous nous effeuillons, notre sourire est plus doux, et notre signification est plus touchante. La tendresse immortelle nous a vêtues d’un blanc aussi pur que si nous devions vivre à jamais. Nous ne sommes pas perdues pour elle. Nous la servons en mourant, comme nos sœurs restées sur l’arbre la servent en produisant du fruit. Nous sommes dans l’ordre, nous suivons le chemin tracé. La main qui conduit toutes choses nous a bénies. Notre sort est doux et notre but certain. 

Nous sommes capables d’accepter l’éphémère, le périssable, les limites de notre corps, d’accepter aussi de faire partie de la nature, de ses cycles, de ses métamorphoses… Nous sommes capables d’assumer notre condition humaine, nous sommes capables de passer de la peur à la confiance. Et finalement, l’enjeu est là: passer de la peur à la confiance. La place de l’être humain aujourd’hui au sein de la création est la place de l’humain confiant. C’est la seule manière de stopper la fuite en avant dans laquelle nous sommes embarqués. Je finirai avec les mots de Théodore Monod:

Sans peur, quittant de l’œuf la tiède sauveté,
Têtard étrange et dérisoire,
Inconsciente ébauche, hors du monde jeté,
Il t’a fallu, jouant ou la blanche ou la noire,
Naître sans peur
Sans peur, dans les matins dorés et les midis,
Au grand soleil ou sous l’orage
Il faut, dans le fracas des tonnerres maudits,
Face aux cris des démons, aux brouillards, au mirage
Vivre sans peur.
Sans peur, au soir venu de l’ombre violette
– O vieux cœur enfin consolé –
Il te faudra, larguant l’amarre à l’aveuglette
Pour offrir au jusant son esquif esseulé
Mourir sans peur.

Marie Cénec, Consentir à sa finitude / extrait (trilogies.org)

image: Le Pâquier-Montbarry, Fribourg / Suisse (2019)

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