L’écharde dans la chair – 3

Jean-François Noel

Eloge de la sainteté ordinaire – III

Au fond, le tout premier mouvement du saint naîtrait de l’idée qu’il se refuse de prendre pour argent comptant ce qu’il est aujourd’hui et qu’il veut attaquer à la racine ce qui aurait pu le lui faire accepter comme une fatalité. Il vaut mieux, infiniment mieux. Et il s’y cramponne de toutes ses forces. L’écharde cesse alors d’être la marque obligée de sa faiblesse, pour devenir le signe d’un inachèvement. C’est pourquoi le mot de péché ne l’effraie nullement. Cette prise de conscience, ajoutée au renoncement de l’obtenir par le seul moyen de ses forces, lui font supporter la rencontre avec l’éternel Innocent. C’est pourquoi il soutient le face-à-face, parce qu’il y discerne, malgré l’éprouvante morsure de culpabilité, ou grâce à elle, la ferme volonté d’aide de Dieu qui ne cesse de lui dire: Je veux que tu deviennes ce que tu es.

Autrement dit, il a appris à ne pas confondre la vraie question qui l’habite secrètement et les mauvaises réponses qu’il a griffonnées dans sa vie. Son désir reste authentique. L’impuissance de la volonté n’invalide pas pour autant son exercice. Elle fait partie de l’équation.

Le plus difficile à convaincre d’un achèvement possible, c’est évidemment soi-même. C’est pour cela que nous rêvons parfois d’être pur esprit. Soyons honnêtes. Notre chair nous humilie, nous rabaisse, elle est insatiable, capable de piétiner nos plus belles résolutions. Elle peut nous faire souffrir à mort, elle est volage, inconstante, capable de se damner pour le corps d’un ou d’une autre et de se plaindre d’une piqûre de moustique. Comment lui faire confiance? Et pourtant, c’est en elle qu’aura lieu la rencontre. Au coeur de cette chair et nulle part ailleurs.

C’est pourquoi nous trouvons quelque consolation à entendre le grand apôtre saint Paul se plaindre à son tour qu’il a une écharde dans la chair. Consolation de ne pas être seul à en avoir une. Et chacun de placer cette écharde où bon lui semble, ou plutôt du côté de ce qui fait problème, du petit vice caché au fantasme inavouable, en passant par toute la série de nos infirmités visibles ou non, dont nous craignons que, dévoilées au grand jour, elles ne nous confondent. Sans parler du plaisir solitaire qui détient le hit-parade des échardes confessées. Et nous applaudissons des quatre mains quand ce même apôtre en déduit qu’elle est le meilleur remède contre tout orgueil. 

Jean-François Noel, L’écharde dans la chair – Eloge de la sainteté ordinaire (Desclée de Brouwer, 2011)

image: Duccio di Buoninsegna, La transfiguration (nationalgallery.org.uk)

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