Chemins de traverse – 126 / Christian Bobin

Christian Bobin 

Je reviens de Bretagne, mon amour. La Bretagne est une terre belle comme l’enfance: les fées et les diables y font bon ménage. Il y a des pierres, de l’eau, du ciel et des visages – et ton nom partout chantant dessous le nom des pierres, de l’eau, du ciel et des visages.

Cela fait bien longtemps que je ne sors plus sans toi. Je t’emporte dans la plus simple cachette qui soit: je te cache dans ma joie comme une lettre en plein soleil.

Il y a en Bretagne beaucoup d’églises, presque autant que de sources ou de diables. Dans une chapelle, j’ai vu un bateau large comme deux bras ouverts. Il ne portait ni voiles ni mât – rien d’autre que des bougies. On aurait dit un jouet d’enfant. Sur la coque, ce nom en peinture bleue: A l’abandon de Dieu. J’ai aussitôt pensé à toi: ce petit bateau c’est ta vie et c’est toi, mon amour. C’est la pureté de ton coeur mille et mille fois naufragé, mille et mille fois reprenant le large, emportant avec lui cette lumière qui le brûle et qui le lave.

Je suis fou de pureté. Je suis fou de cette pureté qui n’a rien à voir avec une morale, qui est la vie dans son atome élémentaire, le fait simple et pauvre d’être pour chacun au bord des eaux de sa mort noire et d’y attendre seul, infiniment seul, éternellement seul. La pureté est la matière la plus répandue sur la terre. Elle est comme un chien. Chaque fois que nous ne nous reposons sur rien que sur notre coeur vide, elle revient s’asseoir à nos pieds, nous tenir compagnie.

Christian Bobin, L’inespérée (coll. Folio/Gallimard, 2012)

image: http://lesvoyagesdemamina.blogspot.ch

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