Elia Kazan
Au matin, la pluie avait cessé, et après déjeuner je me promenai sur la plage. Le vent était à l’est, soufflant de la mer, et faisait moutonner les vagues; l’air était poisseux d’humidité.
Il n’y avait pas une âme en vue, pas une empreinte de pas sur le sable. Tout en marchant, entre les dunes et la mer, j’éprouvais une sensation entièrement nouvelle. Je suppose que je ne la reconnus pas, parce que je ne l’avais jamais ressentie. Au début, je crus que c’était uniquement le sentiment d’avoir survécu. Mais c’était plus que ça. Je sentais comme une puissance en moi, une faculté que je ne m’étais jamais connue. Oui, en marchant le long de la plage lavée de pluie, en sentant l’air frais et humide piquer mes narines, je compris pour la première fois de ma vie ce qu’était l’espoir. C’était exaltant et nouveau. Et je savais que tout ce qui avait été possible, pour moi, à mes débuts, redevenait possible. Et la seule chose impossible, c’était de redevenir ce que j’avais été.
Je savais aussi que ce qui m’arriverait, ou ne m’arriverait pas, quoique ce fût, ne surviendrait pas à cause de moi. Dans un sens, cela n’avait pas d’importance, où j’étais ni avec qui. Ma valeur ne dépendait plus des autres, pas plus que je n’avais besoin d’eux pour trouver la paix du coeur. J’étais enfin livré à moi-même.
Elia Kazan, L’arrangement (coll. Livre de Poche/LGF, 1975)
image: Faye Dunaway, dans: L’arrangement – film de Elia Kazan / 1967 (www.dvdbeaver.com)