Chemins de traverse – 217 / François Mauriac

François Mauriac

De nouveau elle fut seule. Il subsistait en elle une sorte d’agitation, un état de trouble qui était doux. Elle prit un livre mais ne put lire… Elle pensa à l’abandon de sa fortune, sans plaisir cette fois, et même avec un commencement d’inquiétude. La beauté du geste accompli ne lui apportait plus aucune satisfaction d’amour-propre. A cette heure, elle se représentait clairement ce qu’un tel sacrifice introduirait de nouveau dans sa vie. Elle essayait de se rassurer: Ils n’y consentiront pas… ou bien je recevrai une rente suffisante pour vivre, et cela vaudra mieux que l’incertitude où je suis aujourd’hui… En somme, cela pourrait devenir une bonne affaire… Elle rit: Un mouvement généreux n’est jamais perdu…

Bien qu’elle se fût à peine fardée, elle s’étonna de voir dans la glace son visage coloré. Elle avait bu un peu de champagne; c’était cela sans doute. Lorsque le désespoir qui vous tient desserre son étreinte, c’est presque toujours pour une très petite cause d’ordre physique: une nuit de bon sommeil, un verre de vin… Il fait semblant d’être parti et ne s’est éloigné que de quelques pas; nous savons qu’il reviendra; mais enfin il n’est plus là; le monde est bon; peut-être nous reste-t-il à vivre de longues années? Avant la mort, aucune solitude n’est définitive. Nous ne savons pas qui nous rencontrerons ce soir, demain: tant d’êtres se croisent! A chaque instant, une étincelle peut naître, un courant s’établir. Ainsi, ce soir, Thérèse cédait à une impression de joie, elle ne sentait pas son coeur. Peut-être ne mourrai-je pas, songeait-elle, peut-être vais-je vivre.

François Mauriac, La fin de la nuit (coll. Livre de Poche/LGF, 2004)

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