L’écharde dans la chair – 32

Jean-François Noel

Eloge de la sainteté ordinaire – XXXII

Il suffit d’avoir été amoureux une seule fois dans la vie, pour deviner combien cet amour a été capable de nous bouleverser et de nous faire faire des choses que nous n’oserions confier à personne. Les saints ont franchi une certaine frontière, par-delà les logiques, là même où les contraires se rejoignent pour se réconcilier à jamais.

Je défends ici la sainteté de l’ordinaire. Je ne sais pas ce que je ferais si j’étais saisi comme ils ont été saisis. Le Christ en croix témoigne de cette démesure. Contentons-nous ici et maintenant de trouver notre première réponse, certes bien petite et timide, celle de la sainteté de tous les jours. La sainteté de la caissière qui, par son sourire et sa patience, réussit à faire du supermarché un enclos magnifique d’humanité. Elle ne saura peut-être jamais qu’elle a inspiré ce livre et encore moins que j’ai vu en elle une image vivante de sainteté. Elle l’ignore mais Dieu sait. Et cela suffit.

Je choisis de terminer par cette confidence faite par André Frossard qui raconte ainsi sa conversion:

Tout d’abord, ces mots me sont suggérés: Vie spirituelle. Ils ne me sont pas dits, je ne les forme pas moi-même. Je les entends comme s’ils étaient prononcés près de moi, à voix basse par une personne qui verrait ce que je ne vois pas encore. La dernière syllabe de ce prélude murmuré atteint à peine la rive du conscient que commence l’avalanche à rebours. Je ne dis pas que le ciel s’ouvre; il ne s’ouvre pas, il s’élève soudain, fulguration silencieuse, de cette insoupçonnable chapelle dans laquelle il se trouverait mystérieusement inclus. Comment le décrire avec ces mots démissionnaires qui me refusent leurs services et menacent d’intercepter mes pensées pour les consigner au magasin des chimères? Le peintre à qui il serait donné d’entrevoir des couleurs inconnues, avec quoi les peindrait-il?

C’est un cristal indestructible, d’une transparence infinie, d’une luminosité presque insoutenable (un degré de plus m’anéantirait) et plutôt bleue, un monde, un autre monde d’un éclat et d’une densité qui renvoient la nôtre aux ombres fragiles des rêves inachevés. Il y a un ordre dans l’univers, et à son sommet, par-delà ce voile de brume resplendissante l’évidence de Dieu, l’évidence faite présence et l’évidence faite personne de Celui même que j’aurais nié un instant auparavant, que les chrétiens appellent Notre Père, et de qui j’apprends qu’Il est doux, d’une douceur à nulle autre pareille, qui n’est pas la qualité humaine passive que l’on désigne parfois sous ce nom, mais d’une douceur active, brisante, surpassant toute violence, capable de faire éclater la pierre la plus dure, et plus dur que la pierre, le coeur humain. (Dieu existe, je l’ai rencontré)

(fin)

Jean-François Noel, L’écharde dans la chair – Eloge de la sainteté ordinaire (Desclée de Brouwer, 2011)

image: Duccio di Buoninsegna, La transfiguration (nationalgallery.org.uk)

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