Jean-François Noel
Eloge de la sainteté ordinaire – XXXI
La sainteté n’est pas héroïque au sens où nous pouvions le croire. Nous sommes loin de ce face-à-face que l’homme a parfois rêvé de vivre comme un défi. Le chemin proposé par le Christ est totalement étranger à cette manière de faire. Il n’attire pas les héros, car Il craint que l’homme ne s’enorgueillisse. L’écharde fait plier l’échine. En nous forçant à plier, en apprenant à la tolérer, tout en sachant qu’elle n’aura jamais le dernier mot, elle aiguise nos sens, force notre écoute intérieure, ouvre les yeux de notre âme qui entend et voit cette présence invincible qui n’a cessé d’agir au fond de l’homme en dépit de toutes les apparences.
La joie est d’abord celle d’une retrouvaille. En identifiant l’écharde comme ce défaut hétérogène, en la nommant comme un corps étranger qui est venu empoisonner l’existence, nous pouvons remonter le cours de l’histoire jusqu’à sa source, quand la chair de l’homme fraîchement sorti de la glaise primaire gardait encore les traces du pétrissage divin et son odeur de bonté.
La sainteté, c’est d’abord l’exercice d’une mémoire. Une mémoire exacte, fidèle, du dessein jamais abandonné de Dieu qui ne se laisse pas tromper par les jérémiades et les souffrances de notre condition humaine. C’est pourquoi nous retrouvons chez de nombreux saints cette insistance maladive à reconnaître et confesser leurs péchés. Ils ont découvert que peu de chose les séparait de l’amour total et qu’il ne suffirait de presque rien pour qu’ils rentrent dans la pleine communion. Il y a là ni complaisance, ni culpabilité maladive, mais simplement l’impatience, voire la rage de voir Dieu à portée de leur coeur et qu’une courte distance les sépare encore de Lui. L’espace d’une écharde, ils se refusent à ce qu’elle les empêche de tendre la main vers Lui.
Jean-François Noel, L’écharde dans la chair – Eloge de la sainteté ordinaire (Desclée de Brouwer, 2011)
image: Duccio di Buoninsegna, La transfiguration (nationalgallery.org.uk)
