François Varillon
Il est bien certain qu’il y a en nous autre chose que de l’amour. Plus profonde que tout autre, il y a en nous cette souffrance, qui est une noblesse en même temps qu’un aveu, de ne pouvoir aimer personne sans nous aimer nous-mêmes davantage. Lorsque je dis à quelqu’un: je t’aime, je ne suis jamais absolument sincère; trop souvent et toujours un peu, celui ou celle à qui je dis que je l’aime, est un moyen pour l’amour que je me porte à moi-même. Lorsque je pleure un être cher, c’est toujours un peu sur moi que je pleure. Nous savons que notre impureté essentielle consiste en ce que nous nous appartenons à nous-mêmes. Propriété et amour s’excluent rigoureusement. Or, nous ne pouvons faire qu’en cette vie mortelle nous ne soyons des propriétaires, non pas de biens matériels, mais de nous-mêmes. Pour être à Dieu, il ne faut pas être à soi. Pour ne plus être à soi, il faut être arraché à soi. Mais l’arrachement à soi est précisément ce que nous appelons la souffrance.
François Varillon, Joie de croire – Joie de vivre (Centurion, 1981)
image: Marc Chagall, Le sacrifice d’Isaac (guesswhoandwhere.typepad.fr