Morceaux choisis – 565 / François Mauriac

François Mauriac

J’aurais été bien étonné en ce temps-là si quelqu’un m’avait prédit qu’un temps viendrait où la Pentecôte me paraîtrait plus encore que Noël et que Pâques comme le jour où le mystère chrétien affleure, où une part du secret indicible et indéchiffrable est communiquée à ceux qui en sont dignes (mais non, personne n’en est digne…), à ceux qui ont reçu la Grâce d’être fidèles et qui reçoivent ce jour-là le prix de leur fidélité.

En cette fête de l’Amour, la parole de saint Jean Dieu est amour se manifeste à chaque tournant d’une liturgie sublime, au point que le mystère le plus déraisonnable de tous les mystères, celui de la Trinité, s’éclaire; je ne dis pas qu’il s’explique; mais on dirait que des remous lumineux émeuvent soudain ce gouffre d’ombre. Aucune autre fête comme celle-là, pour le fidèle, n’entrebâille la porte derrière laquelle il se sait attendu. C’est la fête  des vrais adorateurs du Père, la fête de ceux qui adorent le Père en esprit et en vérité.

Deux paroles du Seigneur rappelées dans l’évangile de la Pentecôte offrent cette singularité de constituer une promesse non pour l’autre monde, mais pour ce monde-ci: deux paroles, deux promesses si souvent venues sous ma plume que j’hésite à les citer encore et que je crains de céder à la douceur de les récrire. Mais c’est le matin de la Pentecôte et je ne résisterai pas à la tentation. Voici donc la première, telle que saint Jean la rapporte: Si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure. Et la seconde en découle: Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas comme le monde la donne que je vous la donne.

La paix, ici et maintenant; l’occupation, ici et maintenant, du plus secret de notre être par la Trinité insondable. Cette promesse, nous sommes juges de savoir si elle a été tenue ou non. Entre ceux qui se sont éloignés parce que leur attente a été trompée, et les saints qui n’ont pas été déçus et qui ont tenu à tous les moments de leur vie cette proie infinie que les autres ont lâchée pour une ombre, il y a la foule immense des simples fidèles: à demi déçus eux aussi, ils ont continué à suivre de loin, n’ayant jamais eu le sentiment de la présence en eux qui leur avait été annoncée. C’est que la promesse comportait une condition: Si quelqu’un m’aime…

François Mauriac, Nouveaux mémoires intérieurs, dans: Oeuvres autobiographiques (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1990)

image: Jean Restout, La Pentecôte (museis.wordpress.com)

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