Chemins de traverse – 411 / François Mauriac

François Mauriac 

Je suis complice de l’oubli qui régit pour moi tout ce dont relève le songe. Mais surtout j’en demeure persuadé: la mémoire ne concerne que le passé vécu, elle n’est pas adaptée aux fantômes du sommeil et de l’ombre. Son royaume est de ce monde. Elle y engrange pour notre tourment et pour nos délices les objets réels et les êtres de chair, tout ce concret à travers lequel notre vie à commencé de sourdre et s’est répandue, comme l’eau sortie de terre, à travers les pierres et les herbes. Ma mémoire ni ma poésie n’aiment les songes, elles ne s’en nourrissent pas.

Je m’étonne qu’il y ait si loin du songe au souvenir, qu’il y ait plus de réalité dans le souvenir que dans le songe. Nous le sentons bien: avoir été et n’être plus, c’est être encore puisque nous nous en souvenons. Cette tête posée sur notre épaule, dans ce bref intervalle d’un soir d’il y a soixante ans, elle y demeure toujours; mais un seul des rêves de ce temps-là est-il remonté du gouffre? Il en reste moins que des brouillards d’octobre, les tristes matins de la rentrée, car de ces brouillard nous nous rappelons au moins l’odeur, alors que je ne sais plus ce qui me réveillait en sursaut la nuit, m’arrachait un cri, et une main se posait sur mon front: De quoi as-tu peur? Je suis là. Dors.

François Mauriac, Nouveaux mémoires intérieurs, dans: Oeuvres autobiographiques (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1990)

image: François Mauriac (mauriac-en-ligne.u-bordeaux-montaigne.fr)

Print Friendly, PDF & Email

Auteur/autrice

Partager sur:

Dernières publications