Morceaux choisis – 438 / Jean de la Croix

Jean de la Croix

Lorsque tu verras tes appétits obscurcis, tes affections sèches et angoissées, tes puissances réduites à l’incapacité par rapport à tout exercice intérieur, ne t’afflige aucunement, réjouis-toi au contraire. Dieu par cette voie te délivre de toi-même, Il t’ôte des mains les biens que tu n’aurais jamais pu, en dépit de tes bonnes intentions, administrer parfaitement et sûrement, à cause de l’impureté et de la grossièreté de tes affections. Il en ira tout autrement maintenant que Dieu te prend par la main, qu’Il te guide comme un aveugle à travers les ténèbres, par des voies qui te semblent inconnues, vers un lieu que tu ignores et que tu n’atteindrais jamais par la lumière de tes yeux et le mouvement de tes pieds, quelque effort que tu fisses d’ailleurs pour avancer. 

Le voyageur qui se rend dans un pays inconnu ne s’avance-t-il point par des chemins nouveaux et qu’il n’a pas encore fréquentés? Il n’est pas guidé dans sa marche par des connaissances antérieures, et au milieu de ses incertitudes, il est obligé de s’en remettre aux indications d’autrui. N’est-il pas évident qu’on ne peut gagner des contrées inconnues et s’adapter à des choses nouvelles sans s’engager dans des chemins que l’on ne connaît pas, sans quitter ce à quoi l’on est accoutumé? Il n’en va pas autrement pour celui qui apprend un art ou un métier. Il s’avance forcément dans les ténèbres, et s’il ne laissait derrière lui ses connaissances antérieures, jamais il ne les dépasserait, jamais il ne progresserait dans son art.

Jean de la Croix, La nuit obscure / extraits, dans: Oeuvres complètes (Cerf, 1990)

image: Chiesa del Carmine, San Piero Patti / Sicilia, Italia (pietroficarra.eu)

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