Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres – X
Nous resterons cloués sur la chaise de paille.
Et nous n’entendrons pas et nous ne verrons pas
Le tumulte des voix, le tumulte des pas,
Et dans la salle en bas l’innocente ripaille.
Ni les rouliers venus pour le jour du marché.
Ni la feinte colère et l’éclat des jurons:
Car nous contemplerons et nous méditerons
D’un seul embrassement la flèche sans péché.
Nous ne sentirons pas ni nos faces raidies,
Ni la faim ni la soif ni nos renoncements,
Ni nos raides genoux ni nos raisonnements,
Ni dans nos pantalons nos jambes engourdies.
Perdus dans cette chambre et parmi tant d’hôtels,
Nous ne descendrons pas à l’heure du repas,
Et nous n’entendrons pas et nous ne verrons pas
La ville prosternée au pied de vos autels.
Et quand se lèvera le soleil de demain,
Nous nous réveillerons dans une aube lustrale,
A l’ombre des deux bras de votre cathédrale,
Heureux et malheureux et perclus du chemin.
Nous venons vous prier pour ce pauvre garçon
Qui mourut comme un sot au cours de cette année,
Presque dans la semaine et devers la journée
Où votre fils naquit dans la paille et le son.
O Vierge, il n’était pas le pire du troupeau.
Il n’avait qu’un défaut dans sa jeune cuirasse.
Mais la mort qui nous piste et nous suit à la trace
A passé par ce trou qu’il s’est fait dans la peau.
Charles Péguy, Tapisserie de Notre-Dame, dans: Les tapisseries. précédé de: Sonnets, Les sept contre Thèbes, Châteaux de Loire (coll. Poésie/Gallimard, 1993)
image: Tiziano, Assunzione della Vergine (umanesimocristiano.org)