Jésus-Christ ou rien – XXVII
Bernard Bro
Pour choisir dans la vie de chaque jour la miséricorde, il faut accepter de l’aimer. Et nous n’avons pas envie d’aimer les exclus, les pauvres, les pécheurs, parce que nous n’avons pas envie de nous ouvrir à ce gouffre, à cette passion, la plus totale qui soit. On voudrait bien s’en tirer sans avoir soi-même besoin d’aimer, sans avoir à faire confiance, sans avoir à se désarmer soi-même, sans avoir être entamé par l’implacable vérité sur sa propre misère, sans avoir à s’en remettre pleinement à une autre lumière, à une autre volonté que la sienne.
Mais alors, si on n’aime pas la miséricorde pour elle-même, indépendamment de ses effets, avant même d’en user ou d’en bénéficier, on découvre ce paradoxe affolant: on découvre qu’ont s’est rendu incapable de la choisir, même pour être sauvé. Les exigences de la miséricorde sont tellement explosives qu’en présence même du Christ tous les contemporains la rejetèrent. Pour chacune des catégories ou des sectes qui prétendaient détenir la vérité, cette idée d’être amené, par la foi, à se désarmer de soi, à recevoir d’un autre la force même d’agir en reconnaissant sa propre misère et sa pauvreté, cela était insupportable. Qu’on prenne la fuite, qu’on se révolte ou qu’on mesure le salut à sa propre justice, on ne veut pas avoir besoin de la miséricorde, ni de Dieu.
C’est là l’éternel drame chrétien, le drame propre au christianisme: on ne veut pas du visage d’un Dieu qui serait miséricorde.
Bernard Bro, Le pouvoir du mal / extraits (Cerf, 1976)
image: Pericle Fazzini, La Résurrection – Salle d’audience Paul VI, Vatican (bestglitz.com)