Jérôme Savonarole
Voici de nouveau la tristesse. Elle s’est avancée, elle a demandé le silence, elle m’a apostrophé de loin. Voici, a-t-elle dit, l’homme qui a espéré dans le Seigneur, qui pensait n’être pas confondu pour l’éternité, qui s’attachait à la consolation de l’espérance! et voyant qu’à ces mots je rougissais, elle s’est approchée et a dit: Où sont les promesses de ton espérance? Où est ta consolation? Où est ta délivrance? A quoi bon tes larmes? Tes prières, qu’ont-elles obtenues du ciel? Tu as crié et personne de t’a répondu; tu as pleuré, et qui donc s’est ému de miséricorde sur toi? Tu as invoqué ton Dieu et Il s’est tu; tu l’as prié et supplié, Il n’a ni répondu ni entendu; tu as imploré tous les saints et aucun d’eux ne t’a regardé. Qu’as-tu gagné aux paroles d’espérance? Lève-toi donc, appuie-toi sur le secours des hommes: tu sortiras de ta prison, tu vivras désormais sans être frustré dans ton espérance, tu continueras ton oeuvre. Quand elle eut ainsi parlé, il s’éleva de son camp une telle clameur, que c’est à peine si je pus subsister, et que, si ma chère espérance ne fût venue à mon secours, elle m’eût entraîné, chargé de chaînes, dans son parti.
L’espérance est donc venue, étincelante de la splendeur divine; elle a souri et elle a dit: Ne crains pas, le mal ne s’emparera pas de toi, tu ne périras pas. Voici que je suis avec toi pour te délivrer. Cette tristesse, qui a parlé comme une sotte femme, a-t-elle pu te persuader que Dieu n’existe pas, ou que Sa providence ne s’étend pas à toutes choses? Est-ce que tu vas douter de la foi, toi qui l’as défendue par tant de preuves et tant de raisons?
Mon enfant, sache qu’un grand don de Dieu t’a été fait. Car la foi est un don de Dieu, elle ne vient pas des oeuvres, afin que nul ne se glorifie. Lève-toi donc, et ne crains pas, mais reconnais plutôt que le Seigneur ne t’a point délaissé. S’Il n’exauce pas tout de suite, ne vas pas désespérer; s’Il diffère, attends-Le; car venant, Il viendra, et Il ne tardera pas. Le paysan attend, dans la patience, le temps de la récolte; dans les transformations, la nature n’introduit pas tout de suite la nouvelle forme, mais elle commence par préparer la matière, pour la disposer progressivement, jusqu’à ce qu’elle soit apte à recevoir cette forme. Sache pourtant que le Seigneur exauce toujours ceux qui prient avec pitié et humilité. Ils n’en reviennent jamais à jeun. Faut-il te le prouver, toi qui l’as éprouvé? N’est-ce pas le Seigneur qui fait tout en tout? Je sais moi-même ce que tu as éprouvé dans ton coeur. Lève-toi, retourne à l’oraison. Crie, demande, cherche, persévère. Si tu n’es point Son ami pour qu’Il te réponde, Il te donnera néanmoins, à cause de ton importunité, tout ce qui t’est nécessaire.
Alors, consolé par ces paroles, je me redressai, puis, prosterné devant Dieu, je continuai ma prière en disant: Inclinez vers moi Votre oreille, hâtez-vous de me délivrer.
Jérôme Savonarole, Dernières méditations – traduites par Charles Journet (Desclée de Brouwer, 1995)
image: Cimetière de Saint-Georges, Genève / Suisse (2022)