Chemins de traverse – 487 / André Comte-Sponville

André Comte-Sponville 

La gratitude n’a rien à donner, que ce plaisir d’avoir reçu. Quelle vertu plus légère, plus lumineuse, on voudrait dire plus mozartienne, et pas seulement parce que Mozart nous l’inspire, mais parce qu’il la chante, parce qu’il l’incarne, parce qu’il y a en lui cette joie, cette reconnaissance éperdue pour on ne sait quoi, pour tout, cette générosité de la gratitude, oui, quelle vertu plus heureuse et plus humble, quelle grâce plus facile et plus nécessaire que de rendre grâce, justement, dans un sourire ou un pas de danse, dans un chant ou un bonheur? Générosité de la gratitude… Cette dernière expression que je dois à Mozart, m’éclaire: si la gratitude nous fait défaut si souvent, n’est-ce pas encore par incapacité à donner, plutôt qu’à recevoir, par égoïsme plutôt que par insensibilité? Remercier, c’est donner; rendre grâce, c’est partager. Ce plaisir que je te dois, ce n’est pas pour moi seul. Cette joie, c’est la nôtre. Ce bonheur, c’est le nôtre.

André Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus (coll. Points Essais/Seuil, 2014)

image: Pierre le Cacheux (narthex.fr)

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