Jean-Paul 1er
Chère sainte Thérèse, octobre est le mois de votre fête: j’ai pensé que vous me permettriez de m’entretenir avec vous par écrit. Celui qui regarde le célèbre groupe de marbre où le Bernin vous représente transpercée par la flèche du séraphin, pense à vos visions et extases. Il a raison: la Thérèse mystique des transports en Dieu est certes une Thérèse authentique. Mais l’autre Thérèse me plaît davantage: celle qui est proche de nous et que l’on rencontre dans le Livre de la vie et dans les Lettres. C’est la Thérèse de la vie pratique qui éprouve les mêmes difficultés que nous et les surmonte avec dextérité; qui sait sourire, rire et faire rire; qui se meut avec désinvolture au milieu du monde et des affaires les plus diverses, et tout cela grâce à ses nombreux dons naturels, mais plus encore à sa constante union avec Dieu.
Femme! mais de celles qui valent vingt hommes. Vous ne négligez aucun moyen et vous réussissez à réaliser une merveilleuse réforme interne, et par votre oeuvre et vos écrits vous influencez l’Eglise entière; première femme – avec Catherine de Sienne et Thérèse de Lisieux – que l’on ait proclamée docteur de l’Eglise… Pour moi, vous êtes un cas évident d’un phénomène qui se répète régulièrement dans la vie de l’Eglise catholique. Les femmes en principe ne gouvernent pas – c’est la fonction de la hiérarchie – mais très souvent elles inspirent, elles entreprennent, et parfois elles dirigent. Car d’une part l’Esprit souffle où il veut; d’autre part, la femme est plus sensible à la religion et plus capable de se donner généreusement aux grandes causes.
Au dix-septième siècle, il y eut les religieuses de Port-Royal. Une de leurs abbesses, Mère Angélique, était bien partie: elle avait charismatiquement réformé et sa propre vie et son monastère, chassant de la clôture jusqu’aux parents. Très douée, née pour gouverner, elle devint l’âme de la résistance janséniste, intransigeante jusqu’au bout devant l’autorité ecclésiastique. On disait d’elle et de ses religieuses: Pures comme des anges, orgueilleuses comme des démons.
Comme tout cela est loin de votre esprit! Quel abîme entre ces femmes et vous! Fille de l’Eglise était le nom que vous préfériez. Vous l’avez murmuré sur votre lit de mort, alors que durant votre vie, vous aviez tant travaillé pour l’Eglise et avec l’Eglise, acceptant de souffrir par l’Eglise. Si vous pouviez enseigner un peu votre méthode aux prophétesses d’aujourd’hui!
Albino Luciani / Jean-Paul 1er, A sainte Thérèse d’Avila, dans: Humblement vôtre (Nouvelle Cité, 1978)
image: Convento di Santa Teresa, Basilica Avila – Castiglia / Spagna (us.123rf.com)