Chemins de traverse – 541 / Marcel Proust

Marcel Proust

Il est rare que ces grandes maladies n’élisent pas pendant longtemps domicile chez le malade avant de le tuer, et durant cette période ne se fassent pas assez vite, comme un voisin ou un locataire liant, connaître de lui. C’est une terrible connaissance, moins par les souffrances qu’elle cause que par l’étrange nouveauté des restrictions définitives qu’elle impose à la vie. On se voit mourir, dans ce cas, non pas à l’instant même de la mort, mais des mois, quelquefois des années auparavant, depuis qu’elle est hideusement venue habiter chez nous.

Le malade en fait a connaissance de l’Etranger qu’elle entend aller et venir dans son cerveau. Certes elle ne le connaît pas de vue, mais des bruits qu’elle l’entend régulièrement faire elle déduit ses habitudes. Est-ce un malfaiteur? Un matin, elle ne l’entend plus. Il est parti. Ah! si c’était pour toujours! Le soir, il est revenu. Quels sont ses desseins? Le médecin consultant, soumis à la question, comme une maîtresse adorée, répond par des serments tel jour crus, tel jour mis en doute. Au reste, plutôt que celui de la maîtresse, le médecin joue le rôle des serviteurs interrogés. Ils ne sont que des tiers. Celle que nous pressons, dont nous soupçonnons qu’elle est sur le point de nous trahir, c’est la vie elle-même, et malgré que nous ne la sentions plus la même, nous croyons encore en elle, nous demeurons en tous cas dans le doute jusqu’au jour qu’elle nous a enfin abandonnés.

Marcel Proust, A la recherche du temps perdu – Le côté de Guermantes (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1954)

image: https://www.cancer.dk

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