Le coeur du monde – 15

Hans-Urs von Balthasar

Le coeur du monde – XV

Fais ce que tu veux, tu resteras prise dans l’amour. Toi, ma sauvage, je t’ai élevée de terre alors que tu te débattais et te roulais dans ton sang, je t’ai lavée dans le bain de mon sang, dans le bain d’eau de mon baptême et dans la parole de vie, et je me suis créé une Eglise splendide, sans ride ni tache, sainte et immaculée. Tu peux toujours te comporter comme une courtisane et me trahir chaque jour avec un autre, tu n’es pas celle dont tu te donnes l’air, pour l’éternité tu es mon corps sans tache et ma chaste épouse. Je veux revêtir ta honte d’une telle sainteté que le parfum de tes vêtements remplira toute la terre, et que personne ne pourra nier l’avoir vraiment, charnellement, ressenti.

Je veux placer entre tes mains un tel amour à répandre que tu recevras comme nom parmi les nations: la cité digne d’amour et la cité d’amour. Et je veux te mettre dans le coeur un tel souci du monde et de mes brebis perdues que le troupeau assoupi flairera le berger et accoura vers toi presque malgré lui. L’affront que tu me prépares ne sera pas aussi grand que la honte que je te communiquerai en la tirant du trésor de ma croix; la moquerie qu’ils répandront sur toi sera ridicule, comparée à celle que je te remets comme mon cadeau précieux et mon présent de noces inestimable, puisé dans la réserve de mes divines souffrances. La faiblesse minable, avec laquelle tu te tiens devant le monde en ce siècle de ruine, incapable de le transformer, cette faiblesse est enveloppée dans le mystère de ma propre faiblesse, car quand ai-je moi-même été assez fort pour renouveler le visage extérieur de ce monde? Ainsi je veux te transformer en celle que tu n’es pas, et te créer en te faisant sortir de la seule force de mon coeur, comme Eve de la côte d’Adam.

En toi mon coeur d’homme se dilate pour devenir le coeur du monde. Tu es toi-même le coeur saint des peuples, saint par moi, mais unifiant le monde pour moi, faisant circuler mon sang à travers le corps de l’histoire. En toi mûrit ma rédemption, en toi je grandis moi-même jusqu’à ma taille parfaite jusqu’au jour où, ne faisant qu’un avec toi, dans l’alliance de la chair une et double, je déposerai aux pieds du Père le royaume que nous formons, moi et toi, mon épouse et mon corps. Le lien de notre amour, voilà le sens du monde. Tout s’achève en lui. Car le sens du monde est l’amour.

Hans Urs von Balthasar, L’épouse, dans: Le coeur du monde (Desclée de Brouwer, 1956)

image: Carmel du Pâquier, Suisse (carmel-lepaquier.com)

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