Le coeur du monde – 16

Hans-Urs von Balthasar

Le coeur du monde – XVI

Comme je te remercie, Seigneur, de pouvoir couler sans être obligé de saisir, de pouvoir m’épanouir dans ton bienheureux et insondable mystère sans être obligé de me creuser l’esprit sur des signes et des écrits. Car tout est murmure, mais c’est ton nom que les choses murmurent, et tout est signe, et c’est toi qui es signifié. Et, au-dessus de l’énigme de toutes choses, ton mystère brille comme un soleil, et dans le déclin de toute lumière du monde s’annonce silencieusement ta plus grande nuit. Irrésistiblement, toute voie m’oblige à sortir de moi-même pour me lancer dans la jungle, et comme je ne trouve plus aucun chemin, je ressens ton aile et ton  souffle.

Comme je te remercie, Seigneur, de dépasser infiniment notre coeur, car bien méprisable nous apparaît finalement tout ce que nous pouvons comprendre. Et ce n’est pas contenir que notre esprit désire, mais être contenu en toi, et plutôt que connaître être reconnu par ton Coeur. Dans l’échec de toute sagesse, ce n’est pas le néant du savoir que nous éprouvons, mais le sentiment que toute sagesse est contenue en toi. La vague du monde se cabre hardiment, mais elle se pulvérise en écume et s’effondre sur ta rive, prosternée dans l’adoration.

Comme je te remercie, Seigneur, de ne pas absorber la jungle douloureuse du monde autrement que dans la bienheureuse jungle de ton amour et de fondre dans le creuset de ta puissance créatrice tout ce qui se combat et s’oppose en nous. Et de faire en  sorte que tout ce qui miroite en nous d’une manière ambiguë et fascinante brille en toi en parfait accord, grâce à ta rédemption. A la place des énigmes, tu as mis le mystère qui les illumine. Tu es plus fantastique que tous les rêves, et nos plus folles utopies sont de pauvres sottises auprès de ce que tu as réalisé depuis longtemps. La rose du monde se flétrit, nous nous fanons tous et tombons, mais dans cet automne ton printemps se prépare. 

Nous nous abaissons et t’adorons. A la fin tu restes seul, le Coeur au centre de toutes choses. Nous ne sommes pas. Ce qui est bon en nous, tu l’es; ce que nous sommes nous-mêmes est sans importance. Nous passons devant toi et ne voulons rien être, sinon ton miroir et ta fenêtre pour nos frères. Notre disparition devant toi est ton apparition sur nous, notre absorption en toi et ton entrée en nous. Car même notre disparition devant toi porte la figure de ta propre disparition, et même notre éloignement coupable ne nous appartient pas, car tu en as fait ton propre éloignement. Le péché revêt la forme de la rédemption. Ainsi demeures-tu finalement seul et tout en tous..

Hans Urs von Balthasar, O bienheureuse jungle de ton amour, dans: Le coeur du monde (Desclée de Brouwer, 1956)

image: Carmel du Pâquier, Suisse (carmel-lepaquier.com)

Print Friendly, PDF & Email

Auteur/autrice

Partager sur:

Dernières publications

Chant sacré – 189 / Chant grégorien

Gregorian Chant « Te Joseph » Moines de l’Abbaye Notre Dame de Fontgombault image: Marc Chagall (wikiart.org) Auteur/autrice Jubilate DEO Voir toutes les publications

Print Friendly, PDF & Email