Le coeur du monde – 17

Hans-Urs von Balthasar

Le coeur du monde – XVII

Qu’est-ce désormais que le vide? Qu’est-ce que la plénitude? Lequel des deux est l’indigence? Es-tu vide et as-tu soif de plénitude, c’est nous, l’Eglise, qui sommes ton achèvement. Es-tu plein à déborder et aspires-tu comme une nourrice à être soulagé, c’est encore nous, l’Eglise, qui sommes ton achèvement. Mais toujours tu es la plénitude, et nous sommes le vide; toujours, même si tu es épuisé et pressé jusqu’à la dernière goutte, nous recevons tous de ta plénitude grâce sur grâce. Ton Eglise n’est qu’un réceptacle, elle n’est que ton organe. C’est toi qui es la fontaine jaillissante; et si une source jaillit aussi de nous dans la vie éternelle, c’est une eau que tu as donnée, car de toi seul coulent les sources d’eau vive. Et lorsque tu vas pauvre et poussiéreux à travers le monde, enveloppé dans le vêtement des petits et des déshérités, lorsque tu te caches derrière les pécheurs et les publicains et que nous accomplissons en toi, distraits, les huit oeuvres de la miséricorde, alors aussi tu es seul celui qui donne, celui qui, du dedans et du dehors, nous rend possible l’amour.

Tu restes seul. Tu es tout en tous. Même si ton amour nous veut pour se déployer en nous et pour célébrer avec nous le mystère de la génération et de la fécondité, c’est pourtant ici et là ton amour qui donne et qui es donné, qui est à la fois semence et terre féconde. Et l’enfant mis au monde, c’est toi encore. Lorsque l’amour a besoin de deux êtres qui aiment, un amant et un aimé, alors il n’y a qu’un seul amour, et c’est toi qui es l’amour.

Tout est ordonné à ton coeur qui bat éternellement. Maintenant encore le temps et la durée battent la mesure de la création et, à grands coups douloureux, poussent en avant le monde et son histoire. C’est l’inquiétude de l’horloge, et ton coeur est inquiet jusqu’à ce que nous reposions en toi, et toi en nous, temps et éternité absorbés l’un dans l’autre. Mais soyez tranquilles: j’ai vaincu le monde. Le fracas du péché a disparu dans le silence de l’amour. Celui-ci en est devenu plus sombre, plus flamboyant, plus ardent à cause de l’expérience de ce qu’est le monde. Mais l’abîme moins profond de la révolte a été englouti par la miséricorde insondable, et en battements majestueux règne paisiblement le Coeur divin.

(fin)

Hans Urs von Balthasar, O bienheureuse jungle de ton amour, dans: Le coeur du monde (Desclée de Brouwer, 1956)

image: Carmel du Pâquier, Suisse (carmel-lepaquier.com)

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