Chemins de traverse – 11 / Georges Bernanos

Georges Bernanos

Je voudrais vous donner ce que j’ai, ce que vous aimiez si fort, et dont je n’ai plus besoin maintenant – je n’en aurai jamais plus besoin, jamais – ma joie, ma pauvre joie qui vous plaisait. Je vous ai toujours obéi sans peine, comme vous désiriez l’être, avec allégresse. Et après tout, il est bien possible que cette allégresse fut vaine, mais quoi! N’est-ce pas vous qui vous étonniez un jour des grandes choses que Dieu sait tirer pour lui seul du rire d’un petit enfant?… Peut-être est-il bon aussi que j’apprenne à ménager la merveilleuse espérance dont je croyais la source intarissable, que je prodiguais sans y songer, follement, comme un présent de nul prix. L’espérance, après tout, c’est la parole divine, et la parole divine est à la fois suave et terrible. J’ai trop souri à la mort, ainsi qu’à tout le reste: il est juste que je voie aujourd’hui son vrai visage. Je l’ai vue. Je l’accepte ainsi, telle que vous me l’avez montrée: je la reçois véritablement de votre main…

Et maintenant… Et maintenant… comment vous dire?… Maintenant je vous supplie de n’être plus qu’heureux… heureux comme j’étais heureuse, ce matin, en vous regardant dormir, si calme, déjà hors de notre présence, à moitié dans l’ombre et à moitié dans la lumière. Ne vous détournez pas de moi ainsi, pour toujours, sur une dernière parole de tristesse. M’entendez-vous?

Après Dieu, c’est à vous que je devais ma joie, vous dis-je. Reprenez-la. Daignez la consommer tout entière, d’un seul coup, seulement pour franchir ce petit passage. S’il vous plaît de me laisser dans le doute, ne m’épargnez pas. Mais s’il est vrai que… par impossible… vous ayez besoin de moi, il me semble que je trouverais le moyen de vous être utile, peut-être… si vous vouliez du moins… Le voulez-vous?

Georges Bernanos, L’imposture (Castor Astral, 2010)

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