Thérèse de Jésus (Thérèse d’Avila)
L’amour spirituel est, je crois, le partage des âmes auxquelles Dieu a fait clairement savoir ce qu’est le monde et son peu de valeur, la réalité du monde futur, l’opposition qui existe entre l’un et l’autre – l’un éternel dans sa durée, l’autre rapide comme un songe – enfin la différence qui sépare l’amour du Créateur et celui de la créature… Ces âmes aiment bien autrement que nous aimons, nous qui n’avons pas atteint ce degré d’élévation.
Vous allez m’objecter: ces personnes ne savent donc pas aimer, ni payer de retour l’affection qu’on a pour elles? Je réponds: du moins se soucient-elles très peu d’être aimées. Si quelquefois, par un mouvement soudain, leur nature les incline à se réjouir de se sentir aimées, entrant aussitôt en elles-mêmes, elles reconnaissent que c’est folie; j’excepte le cas où il s’agit de personnes dont le savoir ou les prières peuvent être profitables à leur âme. Toutes les autres affections leur pèsent. Elles comprennent qu’elles n’en retirent aucun profit et pourraient même y trouver un dommage. Cependant, elles ne manquent pas d’en être reconnaissantes, et elles les paient de retour par leurs prières. Dans leur pensée, ceux qui les aiment ont Dieu Lui-même pour débiteur. Ne découvrant en elles-mêmes rien qui mérite d’être aimé, elles se persuadent que cette affection prend sa source en Lui, et qu’on ne les aime que parce que Dieu les aime.
Thérèse d’Avila, Le chemin de perfection, dans: Oeuvres complètes (Cerf, 1995)
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