Paul Eluard
La poésie est un combat. Les véritables poètes n’ont jamais cru que la poésie leur appartint en propre. Sur les lèvres des hommes les mots, les chants, les cris, se succèdent sans fin, se croisent, se heurtent, se confondent. Les mots disent le monde et les mots disent l’homme, ce que l’homme voit et ressent, ce qui existe, ce qui a existé, l’antiquité du temps et le passé et le futur de l’âge et du moment, la volonté, l’involontaire, la crainte et le désir de ce qui n’existe pas, de ce qui va exister. Les mots détruisent, les mots prédisent, enchaînés et sans suite, rien ne sert de les nier. Il nous faut peu de mots pour exprimer l’essentiel, il nous faut tous les mots pour le rendre réel. Rien de plus affreux que le langage poétisé, que des mots trop jolis gracieusement liés à d’autres perles.
La poésie véritable s’accommode de nudités crues, de planches qui ne sont pas de salut, de larmes qui ne sont pas irisées. Elle sait qu’il y a des déserts de sable et des déserts de boue, des parquets cirés, des chevelures décoiffées, des mains rugueuses, des victimes puantes, des héros misérables, des fleurs dans l’herbe, des fleurs sur les tombes. Car la poésie est dans la vie.
Paul Eluard, Les sentiers et les routes de la poésie, cité dans: Bernard Bro, La beauté sauvera le monde (Cerf, 1990)
image: René Magritte, Les amants (allposters.com.mx)