Henry van Dyke
Artaban, le quatrième roi mage – II
Durant toute la nuit, Vasda, le plus rapide des chevaux d’Artaban, trépigna dans son écurie comme s’il partageait l’ardeur de son maître. Bien avant l’aurore, Artaban fut prêt. Il sella son cheval favori et entama le long voyage. Il lui faudrait une dizaine de jours pour atteindre Babylone et retrouver les autres mages.
Chaque jour, Vasda galopait sans répit, dès avant l’aube et jusqu’après le coucher du soleil. Artaban et sa monture longèrent ainsi le mont Orontes et traversèrent la plaine des Niséens. Les troupeaux de chevaux sauvages s’y retournaient sur leur passage et galopaient au loin, faisant un bruit de tonnerre avec leurs sabots, les oiseaux sauvages s’échappaient en nuées des marécages tournoyant en grands cercles et poussant des cris aigus de surprise. Puis vinrent les champs fertiles de Concabar où la poussière des aires de battage remplissait l’air d’une brume dorée cachant à moitié le monumental temple d’Astarte et ses quatre cent colonnes. Ils passèrent près des riches jardins du Baghistan, arrosés par des fontaines jaillissant de la roche, puis au pied de la montagne où est gravée la victoire de Darius piétinant ses ennemis et la liste de ses conquêtes. Après avoir traversé une région froide et désolée aux collines balayées par le vent, franchi de sombres gorges où coulait un fleuve déchaîné, ils passèrent par une belle région plantée de vignes et d’arbres fruitiers en terrasses puis par la forêt de chênes de Carine et par le défilé de Zagros. Ils traversèrent la ville de Chala où les prisonniers de Samaria avaient été gardés en captivité durant de longues années. Artaban vit l’image du grand prêtre des mages, sculptée dans la roche avec la main levée, bénissant les pèlerins depuis des siècles. Il passa encore par des vergers de pêchers et de figuiers, par des rizières, il traversa la ville de Ctesiphon où régnaient jadis les empereurs Parthes, puis celle de Seleucia, bâtie par Alexandre.
Enfin, il franchit le delta du Tigre et de l’Euphrate couvert de champs de maïs et arriva en vue de Babylone.
C’était le dixième jour peu avant le coucher du soleil. Vasda était épuisé et Artaban serait bien entré en ville pour s’y arrêter un peu et permettre à sa monture de se rafraîchir et de se reposer, mais il restait encore trois heures de route pour atteindre le temple des Sept Sphères et ses trois amis ne l’attendraient pas plus tard que minuit… Aussi, il continua à travers les champs.
Au milieu de cette mer jaune pâle, une palmeraie se dressait comme une île sombre et triste. Alors qu’ils y pénétraient, Vasda marqua le pas, comme s’il ressentait un certain danger. La plantation était silencieuse comme un tombeau: pas un chant d’oiseau, pas même le bruissement d’une feuille… Le cheval s’arrêta soudain, les muscles tremblants, devant une masse sombre à demi cachée par l’ombre du dernier palmier…
Artaban descendit de cheval: la faible lumière des étoiles révélait une forme humaine allongée en travers de la route. Son vêtement humble et les traits de son visage blême semblaient indiquer qu’il s’agissait d’un de ces pauvres exilés Hébreux qui vivaient en grand nombre autour de la ville. Sa peau était pâle, sèche et jaune comme un parchemin. C’est la fièvre des marais, pensa Artaban, elle fait des ravages en automne et ce pauvre homme n’en a plus pour bien longtemps à vivre. Pris de pitié, il plaça le corps dans la position des morts, un étrange rite funéraire après lequel les Mages laissaient les vautours et autres animaux du désert faire leur office… Bientôt, il ne resterait plus qu’un tas d’os blanchis sur le sable…
Alors qu’il s’apprêtait à rependre la route, Artaban entendit un long et faible soupir s’échapper des lèvres de l’homme dont les doigts saisirent le bas de la robe du mage.
Le coeur d’Artaban s’arrêta un bref instant. Pas par crainte, mais parce que ce contretemps soudain était bien importun. S’il restait une heure de plus ici, il n’atteindrait pas le rendez-vous à temps et ses amis partiraient sans lui… Mais s’il s’en allait maintenant, l’homme mourrait sûrement alors qu’il y avait peut-être une chance de le sauver… Artaban hésitait: ne risquait-il pas de perdre la grande récompense de sa foi pour un simple acte de charité? Dieu de la Vérité et de la pureté, pria-t-il, indique-moi le chemin de la sagesse que toi seul connais. Alors, il se tourna vers le malade, prit de l’eau dans un des petits canaux qui coulait au pied des arbres et lui humecta le front et les lèvres. Il prit dans sa ceinture un de ces remèdes simples et efficaces que les mages, médecins autant qu’astronomes, emportaient toujours avec eux. Il versa cette potion entre les lèvres du malade puis heure après heure, il s’occupa de lui en habile guérisseur et finit par le ramener à la vie. L’homme s’assit et demanda au mage: Qui es-tu? Pourquoi m’as tu sauvé la vie? – Je suis Artaban, répondit le mage, je viens d’Ectabane et je vais à Jérusalem à la recherche d’un nouveau-né qui doit être le Roi des Juifs et le libérateur de tous les hommes. Je ne peux pas retarder plus longtemps mon voyage sinon la caravane partira sans moi… Je te laisse un peu de pain et cette potion, dès que tu en auras la force, retourne vers le quartier Hébreu de Babylone. Le Juif leva la main vers le ciel et demanda au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob de bénir le voyage de son sauveur et de le conduire en paix vers son but. Et il ajouta: Nos prophètes ont aussi parlé du Messie, il ne doit pas naître à Jérusalem mais à Bethléem, que Dieu t’y conduise en sécurité car tu as eu pitié d’un pauvre malade.
sources: http://club-vla-noel.voila.net