Henry van Dyke
Artaban, le quatrième roi mage – IV
Artaban s’en alla donc vers l’Égypte, y cherchant sans relâche la famille qui avait quitté Bethléem. On le vit à Héliopolis, sous le feuillage du sycomore sacré, on le vit au pied des murs de la forteresse romaine de la Nouvelle Babylone, sur les bord du Nil… Mais la piste disparut peu à peu comme les empreintes de pas sur le sable…
Artaban se rendit alors près des pyramides pour chercher la signification de sa quête dans le regard impassible du sphinx: devrait-il errer éternellement à la poursuite d’une énigme sans réponse ou pouvait-il encore espérer ?
Plus tard, on le vit chez un rabbin hébreu d’Alexandrie. L’homme vénérable lui révéla les prophéties d’Israël et lui lut les passages parlant des souffrances de ce messie promis, rejeté par les hommes. Souviens-toi, fils, lui dit le vieux rabbin, le roi que tu cherches ne se trouve pas dans un palais parmi les riches et les puissants. Si la lumière du monde et la gloire d’Israël avaient dû apparaître avec puissance dans la splendeur du monde, elle serait apparue depuis longtemps: aucun fils d’Abraham ne pourra jamais rivaliser avec la puissance que Joseph eut dans les palais d’Égypte, ni avec la magnificence de Salomon, trônant entre deux lions à Jérusalem. La lumière que le monde attend est au contraire une nouvelle lumière, sa gloire jaillira de la douleur et le Royaume qui doit être établi pour toujours est un nouveau royaume, celui de l’amour parfait et invincible. J’ignore comment cela va se passer, comment tous les peuples de la terre seront amenés à reconnaître le messie, mais je sais que ceux qui le cherchent doivent regarder parmi les pauvres, les souffrants et les opprimés.
Alors, Artaban chercha parmi les immigrés, pensant que la famille de Bethléem aurait pu se joindre à eux, il traversa des pays où les pauvres criaient famine, des villes frappées par la peste, il visita des prisons, des marchés aux esclaves, il vit le dur travail des galériens… Dans ce monde de misère et de souffrance, il ne trouva personne à adorer, mais beaucoup de pauvres à aider: il nourrit les affamés, vêtit ceux qui étaient nus, guérit les malades, soulagea les captifs.…
Les années passèrent plus vite que la navette du tisserand qui va et vient dans les deux sens, sans voir que la toile grandit et que la tâche s’accomplit… Artaban semblait avoir presque oublié sa quête, pourtant, quelquefois, il sortait de sa poche secrète la perle, dernier de ses bijoux. Son éclat semblait s’amplifier d’année en année, comme si elle avait absorbé celui du saphir et du rubis perdus…
Trente-trois ans s’étaient écoulés depuis qu’Artaban avait quitté Ectabane et il était toujours un pèlerin à la recherche de la lumière. Ses cheveux jadis plus foncés que les falaises de Zagros étaient maintenant blancs comme la neige et ses yeux autrefois brillants comme la flamme étaient aujourd’hui mats comme la braise couvant parmi les cendres. Usé et prêt à mourir, il était pourtant toujours à la recherche du Roi. Il avait décidé de revenir une dernière fois à Jérusalem, ville qu’il avait souvent visitée, cherchant des traces des Nazaréens qui avaient fui Bethléem il y a si longtemps.
Curieusement, ce jour, une agitation toute particulière animait la ville. Bien sûr c’était la Pâque et la ville était remplie d’étrangers, enfants d’Israël dispersés au loin et revenus pour célébrer la fête en famille… Mais il y avait autre chose, la foule semblait très excitée.
Voyant un groupe de Juifs venus de son pays Parthe, il les interrogea sur la cause de ce tumulte.
Nous allons, répondent-ils, au lieu nommé Golgotha, hors des murs de la ville pour assister à une exécution : deux voleurs célèbres vont être crucifiés, et avec eux un certain Jésus de Nazareth, un homme qui a fait des choses merveilleuses et qui est aimé par le peuple; mais les prêtres et les anciens ont dit qu’il devait mourir car il prétend être le fils de Dieu et Pilate l’a condamné à la croix parce qu’il se dit Roi des Juifs.
Ces mots résonnèrent curieusement dans la tête d’Artaban. Ils l’avaient mené par-delà les terres et les mers et voilà qu’ils lui revenaient comme un message de désespoir.
Ainsi, le Roi était bien venu, mais il avait été rejeté et condamné, et maintenant il était sur le point de mourir.
Les voies de Dieu sont plus étranges que les pensées des hommes… Le Roi est entre les mains de ses ennemis, peut-être que j’arriverai à temps avec ma perle pour l’offrir comme rançon et lui sauver la vie… pensa Artaban.
sources: http://club-vla-noel.voila.net