Henry Van Dyke
Artaban, le quatrième roi mage – V
Pendant qu’il réfléchissait, des soldats macédoniens franchissaient la porte de Damas, traînant une jeune fille à la robe déchirée et aux cheveux en désordre. Soudain, la jeune fille échappa à ses gardiens et vint se jeter aux pieds d’Artaban. Pitié, pleura-t-elle, je suis de ton pays, je suis une fille de la vraie religion enseignée par les mages, mon père était négociant mais il est mort et pour payer ses dettes, j’ai été vendue comme esclave. Sauve-moi de ce sort pire que la mort!
A nouveau, le vieux conflit ressurgit dans l’âme d’Artaban: par deux fois, le cadeau qu’il avait réservé à Dieu avait été dépensé au service de l’humanité. Cette troisième épreuve le mettait face à un choix irrévocable.
Il sortit la perle de sa cachette et la regarda: elle ne lui avait jamais paru aussi brillante. Une seule chose est sûre, se dit-il, sauver cette fille de son triste sort serait un acte d’amour vrai, et l’amour n’est-il pas la lumière de l’âme?
Voici ta rançon, c’est le dernier de mes trésors, je l’avais gardé pour toi, dit-il en tendant la perle à la fille.
Le ciel devint de plus en plus sombre, la terre se mit à trembler, les murs des maisons balançaient d’avant en arrière et des blocs de pierre se détachaient des murs s’écrasant au sol dans des nuages de poussière. Les soldats s’enfuyaient dans tous les sens, terrorisés, tournoyant comme des hommes ivres. Artaban et la fille qu’il avait sauvé se tapirent au pied du mur du prétoire.
La terre tremblait de plus belle, une lourde tuile tomba du toit et se brisa sur le crâne d’Artaban. Chancelant, le vieil homme revit défiler sa vie, il avait donné le dernier présent qu’il gardait pour le roi, il avait perdu tout espoir de le trouver, sa recherche avait échoué… Pourtant il se sentait étrangement bien, car il avait fait de son mieux jour après jour.
Sa tête reposait sur l’épaule de la jeune fille, le sang s’écoulait lentement de sa blessure. La fille entendit une petite voix, un murmure, comme une lointaine musique dont la mélodie serait claire, mais les paroles inaudibles… La fille se retourna mais ne vit personne.
Alors, des lèvres du vieil homme s’échappèrent quelques mots en langue Parthe: Mais quand t’ai-je vu affamé et t’ai-je donné à manger? Quant t’ai-je vu assoiffé et t’ai-je donné à boire? Quand t’ai-je vu nu et t’ai-je donné des vêtements? Quand t’ai-je vu malade ou en prison et suis-je venu vers toi? Je t’ai cherché pendant trente-trois ans et je n’ai jamais vu ton visage, mon Roi.
La petite voix se fit à nouveau entendre, plus clairement, cette fois. En vérité, je te le dis, tout ce que tu as fait aux plus petits de mes frères, c’est à moi que tu l’as fait.
Un rayon lumineux éclaira le visage d’Artaban, comme le premier rayon de l’aube sur une montagne enneigée et un long soupir de soulagement s’échappa de ses lèvres.
Son voyage était fini, ses trésors avaient été acceptés, le quatrième mage avait trouvé le Roi.
(fin)
d’après « The other wise man » de Henry Van Dyke
sources: http://club-vla-noel.voila.net