Morceaux choisis – 1078 / Anne Le Maître

Anne Le Maître

Voici passé le temps du solstice d’hiver qui porte mort et renouveau; devant nous l’année neuve, toute fraîche et propre comme un mouchoir bien repassé qu’on serre dans la poche. Pourtant, certains jours, c’est de noirceur et d’effroi que mon cœur est empli.

Entendons-nous bien: nous n’y sommes pas encore, nous, dans la nuit. Nous ne sommes ni à Kiev, ni à Sdérot, ni à Gaza. S’attrister de la disparition des hirondelles ou des glaciers, de la montée des eaux ou de la haine, cela nous jette bas certains jours, mais ce n’est pas voir les bombes engloutir sa maison ni sa famille décimée par des fous furieux. Cependant, parce que nous sommes humains et dotés d’empathie, les malheurs d’autrui nous affectent et nous ne le redirons jamais assez: il est juste, il est sain qu’il en aille ainsi. Cela nous inquiète aussi, avec raison.

Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière… (Is 9, 1) : au bout de cette phrase comme au bout du tunnel, comme au bout de la nuit, il y a la lumière. Il importe de nous en souvenir, aux jours où nous arpentons le pays de l’ombre. De ce qu’est cette lumière, nous n’avons qu’une idée vague. Elle est ce qui mettra fin à l’obscurité. Elle est ce que, confusément, nous espérons. Là est le plus important, ce sur quoi nous devons veiller en ces heures de pénombre: sur l’espoir. Non pas un sentiment vague, un peu mièvre, mais bien la force qui nous fait avancer jour après jour, l’énergie qui nous traverse et nous remet debout en dépit des bourrasques.

Rien d’autre que la puissance de la vie en nous: un truc chétif, dérisoire, comme la toute petite flamme d’une chandelle, qui recèle en réalité la capacité d’allumer les plus beaux feux de joie, de réchauffer les pires hivers, de cuire le repas de fête pour le plus grand nombre. L’espoir, feu couvant qui anime nos gestes et qui nous pousse vers le jour d’après, persuadés, sans savoir même que nous le sommes, que du meilleur peut advenir. Que nous pouvons encore croire en l’humain. Que nous pouvons encore croire en la force de nos propres mains.

C’est le petit espoir, la petite fille espérance de Péguy. L’espoir comme carburant, comme souffle: l’énergie et la lumière, le souffle et la braise, en ces jours de solstice et d’année nouvelle, en ces jours de mort et de renouveau, voici de quoi affronter bien des nuits obscures…

Anne Le Maître, Marcher dans les ténèbres / extrait, dans: La Vie no 4089 – 11 janvier 2024 (lavie.fr)

image: Greg Rakozy – Unsplash (lavie.fr)

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