Thérèse de l’Enfant Jésus (Thérèse de Lisieux)
Je voyais bien clairement de loin le phare qui m’annonçait le port du Ciel; mais maintenant, je ne vois plus rien, j’ai comme les yeux bandés… Ce que l’on me dit sur la mort ne peut plus pénétrer, ça glisse comme sur une dalle. C’est fini! l’espoir de la mort est usé. Le bon Dieu ne veut pas sans doute que j’y pense comme avant d’être malade. A ce moment-là, cette pensée m’était nécessaire et très profitable, je le sentais bien. Mais aujourd’hui c’est le contraire.
Mon âme est exilée, le Ciel est fermé pour moi et du côté de la terre, c’est l’épreuve aussi… Oh! que je suis heureuse de me voir imparfaite et d’avoir tant besoin de la miséricorde du bon Dieu au moment de la mort! Tenez, voyez-vous là bas le trou noir où l’on ne distingue plus rien; c’est dans un trou comme cela que je suis pour l’âme et pour le corps. Ah! oui, quelles ténèbres! Mais j’y suis dans la paix… Quelle grâce d’avoir la foi! Si je n’avais pas eu la foi, je me serais donné la mort sans hésiter un seul instant.
C’est bien facile d’écrire de belles choses sur la souffrance, mais d’écrire ce n’est rien, rien! Il faut y être pour savoir! Je ne crois plus à la mort pour moi. Je ne crois plus qu’à la souffrance. Eh bien, tant mieux!… Le calice est plein jusqu’au bord! Mais le bon Dieu ne va pas m’abandonner, bien sûr. Il ne m’a jamais abandonnée.
Mon Dieu, je Vous aime…
Thérèse de Lisieux, Derniers entretiens / extraits divers, dans: Oeuvres complètes (Cerf, 1992)
image: Nicolas Tournier / Musée du Louvre (insecula.com)