Le poème de la sainte liturgie – 5

Maurice Zundel

La sainte liturgie – V / Dominus Vobiscum – Oremus

Le lecteur à Complies, chaque soir récite (pour commencer) la leçon de l’Apôtre: Frères, soyez sobres. Veillez. Comme le lion rugissant poursuit sa proie, votre ennemi le diable, rôde alentour. Vous vaincrez par la force de la foi. (1 Pe 5,8). Quelle est cette bataille, et quel est ce péril? Nous n’avons pas à lutter contre le chair et le sang, mais contre les princes, contre les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprit mauvais répandus dans l’air – écrit saint Paul dans son Épitre aux Ephésiens. Guerre sans merci où, même dans la plus secrète prière, se mesurent les deux Cités qui bâtirent les deux amours: L’amour de soi, jusqu’au mépris de Dieu – et l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi.

Et nous sommes réellement engagés dans cette mêlée formidable. Et l’ennemi – libre de toute matière, indéfectiblement tendu vers l’achèvement du même dessein – connaît de notre nature la dissonante complexité, et que nos vouloirs sont incertains, et nos pensées bégayantes – et que nous sommes perdus sans cet appui de la secourable Toute-Puissance. Peut-on croire dès lors, que connaissant de la prière l’efficace, il ne s’acharne à la rendre impossible, ou, tout au moins, à en faire dévier l’essor par les amertume qu’il y mêle – par les fantômes qu’il suscite – jusqu’à ce point qu’elle devienne de notre égoïsme et de notre sensualité le plus dangereux aliment. C’est ce qui arrive en effet: l’expérience mystique confirme les appréhensions de la foi.

Dominus vobiscum – Oremus – Per Dominum nostrum Jesum Christum (Le Seigneur soit avec vous – Prions – Par Jésus-Christ notre Seigneur)… Et entre deux: cette phrase unique, où la plénitude d’une pensée divine rejaillit en un rythme si sûr, que même les mots pour exprimer l’Objet suprême, d’une vigueur nouvelle semblent soudainement remplis. Et c’est déjà se purifier, et s’affranchir de soi, simplement de les dire. Avec cette impression qu’on retrouve, chaque fois: qu’ils furent écrits, pour ce jour justement – et pour ce besoin de l’âme, et qu’ils l’expriment comme on n’aurait jamais su.

C’est très grand, et c’est très humble à la fois. Toujours au-dessus de vous: à votre portée, en même temps. – La ferveur y trouve sa règle, la sécheresse son refuge, le bon goût sa mesure. Car rien n’est plus spontané, et plus dépouillé d’excitation; rien n’est plus vrai, et rien n’est plus sobre. On s’étonne même, à première vue, que ce soit si simple: Dieu tout-puissant,, nous T’en prions, accorde-nous, à ce qui est raisonnable, de toujours appliquer nos pensées, pour accomplir en paroles et en oeuvres, ce qui est digne de Te plaire.

Maurice Zundel, Le poème de la sainte liturgie (Ad Solem, 2017)

image: Basilique Notre-Dame, Genève / Suisse (2017)

 

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