Pape François
L’homme est un être en chemin. Toute sa vie durant, il est appelé à se mettre en route, pour une sortie continue à partir de là où il se trouve: du moment où il sort du sein maternel jusqu’au moment où il passe d’un âge de la vie à un autre; du moment où il laisse la maison de ses parents jusqu’au moment où il sort de cette existence terrestre. Le chemin est une métaphore qui révèle le sens de la vie humaine, d’une vie qui ne se suffit pas à elle-même, mais qui est toujours à la recherche de quelque chose de plus. Le cœur nous invite à marcher, à atteindre un but. Mais marcher est une discipline, un effort; il faut de la patience quotidienne et un entraînement constant. Il faut renoncer à beaucoup de chemins pour choisir celui qui conduit au but et vivifier la mémoire pour ne pas la perdre. But et mémoire. Marcher demande l’humilité de retourner sur ses propres pas, quand c’est nécessaire, et le souci des compagnons de voyage, car ce n’est qu’ensemble qu’on marche bien. Marcher, en somme, exige une conversion de soi continue. C’est pourquoi beaucoup y renoncent, en préférant la quiétude de la maison, où ils s’occupent commodément de leurs propres affaires sans s’exposer aux risques du voyage. Mais ainsi, on s’accroche à des sécurités éphémères, qui ne donnent pas cette paix et cette joie auxquelles le cœur aspire, et qui ne se trouvent qu’en sortant de soi-même.
Nous sommes appelés, ensemble, à marcher ainsi: la route passe par une conversion continue, par le renouvellement de notre mentalité afin qu’elle soit conforme à celle de l’Esprit Saint. Au cours de l’histoire, les divisions entre chrétiens sont souvent advenues parce qu’à la racine, dans la vie des communautés, s’est infiltrée une mentalité mondaine: on défendait d’abord ses intérêts propres, puis ceux de Jésus-Christ. Dans ces situations, l’ennemi de Dieu et de l’homme a eu la tâche facile en nous séparant, car la direction que nous suivions était celle de la chair, non celle de l’Esprit. Même certaines tentatives du passé pour mettre fin à ces divisions ont misérablement échoué, parce qu’elles étaient principalement inspirées par des logiques mondaines. Mais le mouvement oecuménique, auquel le Conseil Oecuménique a tant contribué, a surgi par la grâce de l’Esprit Saint. L’oecuménisme nous a mis en route selon la volonté de Jésus et pourra progresser à condition qu’en marchant sous la conduite de l’Esprit, il rejette tout repli autoréférentiel.
Mais – pourrait-on rétorquer – marcher de cette manière, c’est travailler en vain, car on ne défend pas, comme il se doit, les intérêts des communautés respectives, souvent solidement liées à des appartenances ethniques ou à des orientations affermies, qu’elles soient principalement conservatrices ou progressistes. Oui, choisir d’appartenir à Jésus avant d’appartenir à Apollos ou à Pierre, d’appartenir au Christ avant d’être Juifs ou Grecs, d’appartenir au Seigneur avant d’être de droite ou de gauche. Choisir au nom de l’Evangile le frère au lieu de soi-même signifie souvent, aux yeux du monde, travailler en pure perte. N’ayons pas peur de travailler en pure perte! L’oecuménisme est une grande entreprise en pure perte. Mais il s’agit d’une perte évangélique, selon la voie tracée par Jésus: Celui qui veut sauver sa vie la perdra; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera (Lc 9, 24). Sauver ce qui nous est propre, c’est marcher selon la chair; se perdre en suivant Jésus, c’est marcher selon l’Esprit. Ce n’est qu’ainsi qu’on porte du fruit dans la vigne du Seigneur. Comme Jésus l’enseigne lui-même, ce ne sont pas ceux qui accaparent qui portent du fruit dans la vigne du Seigneur, mais ceux qui, en servant, suivent la logique de Dieu qui continue de donner et de se donner. C’est la logique de la Pâque, l’unique qui porte du fruit.
En regardant notre cheminement, nous pouvons nous retrouver dans quelques situations des communautés des Galates d’alors: comme il est difficile de calmer les animosités et de cultiver la communion, comme il est difficile de sortir des contrastes et des refus réciproques alimentés par des siècles! Il est encore plus difficile de résister à la tentation trompeuse: être ensemble avec les autres, marcher ensemble, mais avec l’intention de satisfaire quelque intérêt partisan. Ce n’est pas la logique de l’Apôtre, c’est celle de Judas, qui marchait avec Jésus mais pour ses propres affaires. La réponse à nos pas vacillants est toujours la même: marcher selon l’Esprit, en purifiant le cœur du mal, en choisissant avec une sainte obstination la voie de l’Evangile et en refusant les faux-fuyants du monde.
Trop facilement, l’Esprit s’arrête devant les divergences qui persistent; trop souvent, Il est bloqué au départ, miné par le pessimisme. Que les distances ne soient pas des excuses! Il est déjà possible de marcher dès maintenant selon l’Esprit: prier, évangéliser, servir ensemble, c’est possible et cela plaît à Dieu! Marcher ensemble, prier ensemble, travailler ensemble: voilà notre route principale d’aujourd’hui! Que la Croix oriente notre chemin, parce que là, en Jésus, ont déjà été abattus les murs de séparation et toute inimitié a été vaincue; là, nous comprenons que, malgré toutes nos faiblesses, rien ne nous séparera jamais de son amour (Rm 8, 35-39).
Pape François, Prière oecuménique – extraits / Conseil Oecuménique des Eglises, Genève – 21 juin 2018 (w2.vatican.va)