Le poème de la sainte liturgie – 11

Maurice Zundel

La sainte liturgie – XI / Action de grâces

Une certaine piété moderne, tout obsédée par l’idée de péché, a vu presque exclusivement, dans la religion, un instrument d’expiation, et souligné de la messe le caractère propitiatoire. La réalité est beaucoup plus vaste. La vie ne consiste pas seulement à déplorer ses fautes, mais à jouir, encore, de la lumière, de la beauté et de l’amour, – à porter comme sienne la douleur des autres et à s’enrichir dans l’oubli de soi-même, – à admirer Dieu, et à Le magnifier dans Ses oeuvres. La prière d’expiation n’est donc pas la seule légitime: l’action de grâces a sa place dans la liturgie sacrée, à la Croix, comme à la messe.

Tous les récits de la dernière Cène, dans les synoptiques comme dans saint Paul, s’accordent à nous montrer Jésus rendant grâces, avant de distribuer à Ses disciples, le mémorial anticipé de Sa mort. Ce qu’il va coûter est indicible: ce corps livré pour vous, ce sang répandu pour la rançon d’un grand nombre (Mt 26,26-28). Mais le don prodigieux que rend possible Son sacrifice semble Le consoler, et Il remercie d’avance.

C’est aussi ce que fait l’Eglise, dans la Préface de la messe. Avant la mystérieuse venue du Seigneur, avant les paroles consécratoires, avant l’immolation intérieure par laquelle l’homme se démet de soi entre les mains de Dieu: Voici mon corps, voici mon  sang, en échange de vous-mêmes, – avant tout cela, l’Eglise dit merci. – La reconnaissance va plus vite encore que le désir, la reconnaissance ouvre la marche: Merci pour la vérité de l’Evangile, et la splendeur du monde visible, merci pour l’amour rédempteur et la tendresse fraternelle, merci pour l’épreuve de la douleur et de la mort.

C’est ainsi que le mystère aux yeux de beaucoup le plus indifférent à la piété, est au contraire, au regard de la foi, la source même de la plus filiale gratitude, à cause du gage qu’Il nous donne de l’amitié de Dieu, dans cette confidence du secret le plus profond de Son ineffable intimité. On ne peut trouver de plus sublime motif de reconnaissance, – on n’en peut rencontrer de plus inattendu.

Vous pleurez sur la dépouille d’un ami, vous n’en pouvez plus de chagrin, vous regardez la Croix pour y chercher la raison d’une si lourde épreuve: et l’Eglise vous commande d’espérer, et vous persuade de la mansuétude infinie de l’Amour qui dispose, pour le bien, de la vie et de la mort. Et vous écoutez stupéfait le prêtre qui chante, avec la même sérénité, l’indéfectible louange. – Et c’est par de tels accents que l’Eglise, selon le mot du Cantique, ordonne en nous la charité: comme une mère, à l’enfant qui reçoit, apprend à dire merci.

Maurice Zundel, Le poème de la sainte liturgie (Ad Solem, 2017)

image: Basilique Notre-Dame, Genève / Suisse (2017)

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