Maurice Zundel
La sainte liturgie – XII / Sanctus
On a beau être prophète, et même le plus grand des prophètes, on a toujours ce goût de terre à la bouche, on est toujours oscillant entre ces terreurs et ces joies, ces espoirs et ces désenchantements, ces ardeurs de conquête et ces fléchissements d’infirmité, où notre vie tour à tour s’engage; on est toujours changeant pour acquérir – et peut-être aussi pour perdre. Quel vêtement de misère, pour s’offrir au regard de l’immuable sainteté!
Car on savait, dans ce temps-là, ce qu’on disait quand on parlait de la Majesté divine. Du moins on croyait le savoir – car on n’avait pas vu le grand abaissement. On ne se doutait pas encore que la sainteté fût la source et la fontaine de miséricorde. On ignorait communément que le Sanctus annonçait le Benedictus – et que le Seigneur de gloire, c’était Jésus sur Son ânon.
Justement parce que Dieu est saint, parce qu’Il est infiniment autre que nous, et qu’il n’y a en Lui ni vide à remplir, ni besoin à satisfaire, – justement à cause de cela, Son amour n’a point de commune mesure avec le nôtre. Si généreux que nous soyons, il faut bien que nous cherchions dans la vie d’autrui – autrui fût-il Dieu – un accroissement de la nôtre. Mais le Parfait n’aime pas de cette sorte. Le Parfait aime gratuitement: pour faire grandir les autres, et pour les enrichir, par le resplendissement sur eux, de Sa joie et de Sa beauté. Sans retour sur soi, sans souci de se compléter, étant la plénitude, c’est pour notre bonheur, et non pour le Sien – éternellement jaillissant, quand même n’existerait aucune créature – que Dieu nous aime.
Loin donc que la transcendance de Sa sainteté nous dérobe Sa miséricorde, c’est dans cette excellence inexprimable que notre confiance trouve son appui. C’est pourquoi, sous l’Alliance nouvelle, la tendresse de l’Eglise, du Sanctus et du Benedictus, fit un seul tout.
Maurice Zundel, Le poème de la sainte liturgie (Ad Solem, 2017)
image: Basilique Notre-Dame, Genève / Suisse (2017)