Antoine Bloom
Nous vivons habituellement une sorte d’existence qui n’est qu’un reflet. Non seulement nous sommes successivement, en des circonstances diverses, des personnages différents, mais la vie même qui est en nous appartient trop souvent à d’autres. Si vous regardez en vous-mêmes, et si vous osez vous demander combien de fois vous agissez à partir du noyau même de votre propre personnalité, combien de fois vous exprimez votre être propre, vous vous apercevrez que c’est assez rare. Trop souvent, nous sommes immergés dans ce qui se passe autour de nous, dans tout ce superflu que nous apportent la radio, la télévision, la presse; mais durant cet instant, ces quelques minutes de concentration, nous devons évacuer tout ce qui n’est pas essentiel à la vie.
Alors, bien sûr, vous courez le risque de vous ennuyer avec vous-même: parfait, ennuyez-vous. Mais cela ne signifie pas qu’il ne reste rien en nous, car à la racine de notre être nous sommes faits à l’image de Dieu, et ce dépouillement ressemble beaucoup au nettoyage d’une belle fresque ancienne, au décapage de l’oeuvre d’un grand maître recouverte au cours des siècles par le barbouillage de gens sans goût qui en masquait la véritable beauté. Au début, plus nous décapons, plus nous faisons disparaître de choses, et il nous semble avoir fait du gâchis là où il existait auparavant au moins une certaine beauté, peut-être pas extraordinaire, mais qui était déjà quelque chose.
Et puis, nous commençons à découvrir la véritable beauté que le grand maître avait mise dans sa peinture; nous avons vu d’abord l’état pitoyable, puis le gâchis, mais en même temps nous pressentons déjà la vision de la beauté authentique. Et nous découvrons que ce que nous sommes, c’est un pauvre être qui a besoin de Dieu; non pas pour boucher les trous, mais pour Le rencontrer.
Essayons donc de le faire, et chaque soir, faisons cette très simple prière: Aide-moi, ô mon Dieu, à me délivrer de tous mes faux-semblants et à trouver mon être véritable.
Antoine Bloom, La prière vivante (Coll. Lexio/Cerf, 1972)
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