Morceaux choisis – 801 / Augustin Pic

Augustin Pic

Le commun des croyants, d’où il y aurait illusion à s’exclure, reste aujourd’hui souvent centré sur soi, c’est-à-dire sur sa joie et ses épreuves dans la foi, sur le ressenti ou non de son oraison, sur le ressouvenir, le narré ou la guérison de son passé, sur le décompte de ses péchés ou de ses progrès, sur le prévoyance de son avenir spirituel ou le renoncement aux prévoyances, sur les confidences qu’il fait au prêtre ou à l’ami, et sur la qualité de leur écoute et de leurs conseils. Même l’intégration d’autrui dans sa prière fait spontanément place aux individus et proches plus qu’aux grandes entités ou grandes causes, alors que celles-ci ne sont pas moins urgentes. Car l’idée dominante est celle d’un Dieu occupé surtout des individus et de l’immédiat. On ne nie pas les innombrables diversifications de Sa sollicitude, on prie souvent à d’autres intentions que celles du petit monde où l’on vit, mais le centre demeure: moi d’abord et mes proches, mon diocèse ensuite et mon pays, l’Eglise entière et ses pasteurs. Enfin, mais de plus loin, foi, justice et paix dans le monde, conversion et salut des multitudes.

Il va sans dire que c’est d’abord pour intercéder que l’on intercède, puisqu’intercéder est le sommet de la prière de demande, voire de toute prière ici-bas et là-haut. Mais on ne saurait le faire sans modifier profondément, du même coup, la manière qu’on a de se conduire. Car l’importance excessive accordée par le croyant encore imparfait à tout ce qui lui arrive spirituellement, ne pourra que retrouver juste place à mesure qu’augmentera son désir du salut de tous.

On sait déjà que c’est par l’humilité qui fait se réjouir, non d’avoir péché, mais d’endurer patiemment l’humiliation qui en est la conséquence, que Dieu libère un coeur. On doit pareillement admettre que l’intercession libère, car, étant en quelque sorte le repentir du péché d’autrui, elle humilie pareillement. D’où saint Dominique invitant un Frère à pleurer moins ses péchés que ceux des pécheurs, d’où sainte Thérèse de Lisieux mangeant mystiquement à la table de ces derniers, d’où tous les saints, à la vérité, qui trouvèrent leur perfection, chacun en son temps et selon sa grâce, dans une inlassable intercession. C’est donc aussi pour sa sanctification personnelle qu’on demande la conversion d’autrui ou quelque autre bien véritable qu’il risquerait sans cela de manquer ou de perdre.

Augustin Pic, Intercéder pour sa patrie – extraits, dans: Revue Carmel No 167 / Intercéder pour un peuple, Mars 2018 (Editions du Carmel, 2018)

image: Carmel du Pâquier, Suisse (2018)

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