Bernard Bro
On ne pourra jamais donner une définition adéquate du grégorien, non plus que de la musique. On peut seulement, en écoutant ou en chantant, pressentir qu’il ne s’agit plus seulement d’émotions. Certes elles sont très fortes ici puisqu’il n’y a aucun instrument, aucun accompagnement nécessaire, aucun ajout extérieur avec lequel on devrait composer pour exprimer la communion de ce qui est dit entre deux interlocuteurs. Non seulement la place est faite au silence, mais la mélodie n’est destinée qu’à introduire à ce silence qui contient et la musique et les partenaires de cette musique, et cela de l’intérieur même de la Parole. Celle-ci vient de l’autre. Avant d’être chantée, la Parole a été reçue de Celui qu’on cherche à retrouver.
Elle a été lue, relue, méditée et intériorisée. Elle remonte à l’âme dans une économie totale de moyens. Elle flotte en sa mémoire comme une anamnèse heureuse. Elle est portée par la seule inquiétude du risque de se lasser dans l’attente de Celui qu’on aime. La pauvreté qu’elle révèle n’est plus obstacle, elle devient au contraire la manière même dont l’amour prouve qu’il n’a plus peur de paraître démuni. La musique reste servante mais sans bavardage ou contrainte: elle se sait entendue. Elle n’élève pas la voix. L’adéquation tant désirée avec l’être aimé est déjà présente.
Cette résonance propre au grégorien donne sa profondeur et son site à la prière. Elle ajuste à la délicatesse divine. Elle aide à passer à la vraie vie dans la ténèbre lumineuse de la foi. Elle se fait métier et trame où l’histoire intime du Christ devient l’étoffe même de l’existence, là où se purifient et se tissent dans le secret nos nostalgies. Il n’y a plus à repousser l’instinct lorsque le grégorien nous aura saisis. On est proche de l’essentiel: la correspondance avec Dieu dans la plus grande pauvreté de moyens. La correspondance… cela que poursuit toute poésie, tout amour, toute religion: s’ouvrir à l’honneur de partager la pensée divine, dans la pauvreté du coeur.
Bernard Bro, La beauté sauvera le monde / extrait (Cerf, 1990)
image: www.laudato.hr
illustration musicale: Te Deum / Choeur des moines de l’Abbaye de Melleray